Céline, Voyage au bout de la nuit.
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«
Céline, Voyage au bout de la nuit
Sous le pont, l'eau était devenue toute lourde.
J'avais plus du tout envie
d'avancer.
Aux boulevards, j'ai bu un café crème et j'ai ouvert ce bouquin
qu'elle m'avait vendu.
En l'ouvrant, je suis tombé sur une page d'une lettre qu'il
écrivait à sa femme le Montaigne, justement pour l'occasion d'un fils à eux qui
venait de mourir.
Ca m'intéressait immédiatement ce passage, probablement à
cause des rapports que je faisais tout de suite avec Bébert.
Ah! Qu’il lui disait le
Montaigne, à peu près comme ça à son épouse.
T'en fais pas va, ma chère
femme ! Il faut bien te consoler !...
Ca s'arrangera !...
Tout s'arrange dans la
vie...
Et puis d'ailleurs, qu'il lui disait encore, j'ai justement retrouvé hier dans
des vieux papiers d'un ami à moi une certaine lettre que Plutarque envoyait lui
aussi à sa femme, dans des circonstances tout à fait pareilles aux nôtres...
Et
que je l'ai trouvée si joliment bien tapée sa lettre ma chère femme, que je te
l'envoie sa lettre !...
C'est une belle lettre ! D'ailleurs je ne veux pas t'en priver
plus longtemps, tu m'en diras des nouvelles pour ce qui est de guérir ton
chagrin!...
Ma chère épouse ! Je te l'envoie la belle lettre ! Elle est un peu la
comme celle de Plutarque !...
On peut le dire ! Elle a pas fini de t'intéresser!...
Ah ! non ! Prenez- en connaissance ma chère femme ! Lisez-la bien ! Montrez-la
aux amis.
Et relisez-la encore ! Je suis bien tranquille à présent ! Je suis certain
qu'elle va vous remettre d'aplomb !...
Vostre bon mari.
Michel.
Voilà que je me
dis moi, ce qu'on peut appeler du beau travail.
Sa femme devait être fière d'avoir un bon mari qui s'en fasse pas comme
son Michel.
Enfin, c'était leur affaire à ces gens.
On se trompe peut-être toujours quand il s'agit de juger le coeur des
autres.
Peut-être qu'ils avaient vraiment du chagrin ? Du chagrin de l'époque ? Mais pour ce qui concernait Bébert, ça
me faisait une sacrée journée.
Je n'avais pas de veine avec lui Bébert, mort ou vif.
Il me semblait qu'il n'y avait rien
pour lui sur terre, même dans Montaigne.
C'est peut-être pour tout le monde la même chose d'ailleurs, dès qu'on insiste
un peu, c'est le vide.
Y avait pas à dire, j'étais parti de Rancy depuis le matin, fallait y retourner, et j'avais rien
rapporté.
J'avais rien absolument à lui offrir, ni à la tante non plus.
Contexte et éléments pour l’introduction
Voyage au bout de la nuit est un roman publié par Céline en 1932, dans lequel le narrateur, Bardamu, traverse plusieurs
expériences – la première Guerre mondiale, la colonisation en Afrique, le système tayloriste et capitaliste à New York –
avant de revenir en banlieue parisienne, à Rancy, où il s’établit comme médecin.
Cette errance est rapportée par lui
avec amertume et violence, d’une manière brute et immédiate : l’ensemble du roman se caractérise par un recours
permanent à une langue orale, souvent argotique, qui épouse les mouvements de la réflexion amère de Bardamu, et par
une exploration des thèmes du dégoût, de la désillusion, de l’absurdité et de la violence de la vie.
Le passage à commenter se situe dans la dernière partie du roman : Bardamu, revenu de ses voyages, s’est installé
comme médecin et s’est pris d’amitié pour un petit garçon, Bébert, qui va mourir de maladie sans que Bardamu ne
puisse l’aider.
L’épisode de la mort de Bébert constitue donc un ultime exemple, pour Bardamu, de la cruauté absurde
de la vie.
Dans notre texte, on peut assister à une tentative – vouée à l’échec – d’attribution d’un sens à la mort de
Bébert par la lecture d’un extrait des Essais de Montaigne.
Ainsi, le passage par la lecture – presque par hasard,
d’ailleurs – d’une page de philosophie essayant d’offrir une consolation de la mort, dans la tradition stoïcienne
notamment, ne fait qu’aboutir à un retour au nihilisme et au sentiment de l’absurde qui caractérise l’ensemble de
l’œuvre : la tentative de donner du sens aux événements humains semble alors nécessairement vouée à l’échec.
Le texte se compose de deux mouvements enchâssés l’un dans l’autre : un mouvement qui sert de cadre à l’ensemble
du texte, au début et à la fin, et qui présente le narrateur méditant sur le sort de Bébert et faisant le constat de son
impuissance ; un second mouvement, qui constitue le centre du texte, consacré à la lecture par Bardamu d’une page
de Montaigne.
De cette manière, l’impuissance et la vaine recherche d’une consolation ou d’un sens se répondent et
finissent par donner à voir l’absurdité et la cruauté sans issue de la vie humaine.
Le commentaire devra s’attacher à
montrer par quels moyens langagiers le texte met en place cette absurdité et cette cruauté, avec un pessimisme sans
nuances.
Eléments pour le développement
NB : les éléments donnés ici ne sont volontairement pas composés en plan abouti pour un commentaire ; ils
ne font que mettre en lumière les éléments à commenter : il vous revient de hiérarchiser ces éléments en
fonction de votre propre lecture du texte..
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