Charles-Marie LECONTE DE LISLE (1818-1894) (Recueil : Poèmes antiques) - La mort de Valmiki
Extrait du document
«
Intro :
Ce passage est extrait de « la mort de Valmiki » de Leconte de Lisle.
Ce poème est issu du recueil Les poèmes antiques, paru en 1852 après
que l’auteur eût renoncé à la vie politique française, déçu par les évènements de 1848.
Chef de file de l’école parnassienne, il préconise une
poésie objective qui réunisse la science et l’art.
Dans ce poème en alexandrin, le poète rapporte la mort du poète mythique Valmiki, sage
indien auteur d’un long poème épique.
Problématique : Nous pouvons nous demander dans quelle mesure ce poème au sujet exotique et à la beauté singulière est significatif
d’une profonde angoisse métaphysique.
Dans un premier mouvement nous étudierons la recherche d’une voix originelle dans « les temps où l'homme et la terre étaient jeunes et
dans l'éclosion de leur force et de leur beauté», en second lieu nous observerons en quoi ce poème répond à l’exigence formelle de
l’esthétique parnassienne et enfin nous observerons les motifs de l’inquiétude métaphysique qui caractérise le poème.
I.
La recherche d’une voix originelle dans « les temps où l'homme et la terre étaient jeunes et dans l'éclosion de leur force
et de leur beauté»
1.
Exotisme du poème
Le poème a pour cadre un paysage indien.
L’’exotisme du poème est surtout perceptible dans le premier mouvement avec la mention des
« formes », des « couleurs », des « parfums », mais également de la mer.
Toutefois il est impossible de distinguer un pays précis si l’on ne
se réfère pas au titre du poème ou aux derniers vers avec la mention de « l’Himavat ».
Cependant il faut préciser ici que nous ne
commentons que les deux dernières strophes du poème et que les strophes précédentes font une large place aux références indiennes.
D’autre part l’adjectif blanc associé à la fourmi fait allusion à la « mythologie » indienne : « le dieu de la mort vint au secours de Varouna, et
métamorphosé en fourmi blanche, il se mit à ronger l’arc de Vichnou » (histoire générale de l’inde ancienne et moderne).
2.
Un retour aux origines
Ce poème semble regretter avec la mort de Valmiki, la mort du souffle originel.
On sait à quel point Leconte de Lisle détestait le mélange
des genres : « Leconte de Lisle, étant un vrai poète sérieux et méditatif, a horreur de la confusion des genres, et il sait que l'art n'obtient ses effets les
plus puissants que par des sacrifices proportionnés à la rareté de son but.» (Charles Baudelaire, Portrait de Leconte de Lisle, Revue fantaisiste, été
1861).
Or la mort de Valmiki s’accompagne dans le poème de la confusion de toutes choses : « tout rentre et se noit », « tout se tait ».
Finalement c’est l’anéantissement de la source originelle, l’anéantissement de la voix poétique dont témoigne ce poème.
La tension du
poème naît de la tentative de lutter contre cette fin poétique par la beauté formelle.
II.
L’exigence formelle de l’esthétique parnassienne
Leconte de Lisle est un poète du 19 ème siècle qui revendique la perfection formelle et le culte de l’art pour l’art.
Il appartient en cela à l’école
parnassienne comme par exemple Baudelaire, Théophile Gautier, Verlaine, ou encore Mallarmé.
1.
Une recherche de perfection : la montée en puissance
Le poème a pour thème la mort.
Thème angoissant entre tous.
Or, la forme du poème est au service de ce thème.
La fin de la pièce
poétique que nous avons à étudier se compose de deux mouvements bien distincts, et se caractérise par une montée en puissance,
également rendue grâce à l’ampleur des alexandrins.
Ainsi au vers 21, on peut distinguer trois coupes au sein de l’alexandrin : l’une de
deux syllabes, l’autre de 4 et la dernière de 6.
Nous avons donc le schéma suivant : 2/4/6 caractéristique d’une montée en puissance.
Mais
nous pouvons également prendre pour illustration les vers 9, 10, et 11 ou « une blanche fourmi » en précède « cent » puis « mille » et « des
millions ».
Le poème poursuit donc une ascension et la forme est travaillée pour transcrire cette montée en puissance.
D’autre part,
l’attention à la forme est sensible par la présence de chiasme (v.2, v.24) et de parallélismes (v .25) mais aussi par l’importance des
sonorités et les accents sur certains mots (v.
26 « Valmiki » à la césure)
2.
une poésie objective qui unit science et art
Cette fin de poème fait preuve, d’autre part, d’un poignant réalisme, comme saura l’utiliser plus tard (1857) un Baudelaire dans ses Fleurs
du Mal (« une charogne »).
Le réalisme de la progression des fourmis sur le corps humain avec l’appropriation par les insectes des « pieds »
puis des « cuisses », de « la poitrine » et enfin des « yeux » est frappante à ce titre.
Les détails apportés par les couleurs sont notamment
caractéristiques de ce réalisme : « s’engouffrent dans la bouche ouverte et violette ».
L’abondance d’adjectifs qualificatifs souligne
également cette volonté de réalisme sinon d’objectivité.
Objectivit2, réalisme, beauté formelle sont donc la marque des exigences esthétiques du Parnasse parfaitement maîtrisées dans ce poème
au service de l’inquiétude métaphysique.
III.
L’inquiétude métaphysique
L’esthétique parnassienne a pour but dans ce poème de prendre source dans la voix originelle mais traduit simultanément une profonde
angoisse métaphysique.
1.
Un cadre inquiétant
L’espace temps dans lequel s’inscrit le poème est véritablement inquiétant.
La première des deux strophes apparaît comme une scène
apocalyptique : « tout se tait », « l’univers embrasé se consume ».
Tout semble se confondre et s’embraser pour devenir un espace stérile
qui ne peut enfanter que la mort.
« Et voici hors du sol qui se gerce et qui fume ».
Le poème donne véritablement l’impression d’une scène
de « deus ex machina » où le dieu de la mort émerge d’un paysage infernal au sens étymologique du terme.
Quant aux évocations
temporelles, elles sont inexistantes, laissant baigner le poème dans une indéfinition totale, dans une angoisse latente et surtout
intemporelle : « le soleil grandit, monte, éclate et brûle en paix ».
Le présent a ici une valeur générique.
2.
le motif de la mort et de la destruction
Ce poème a pour titre la mort de Valmiki mais il est intéressant de noter que cette mort n’intervient qu’à la toute fin du poème.
Il ne s’agit
pas d’accomplir un éloge funèbre mais bien d’évoquer l’angoisse humaine de la mort par un motif singulièrement marquant qui est celui de
la pullulation (v.10).
Nous avons déjà évoqué le rythme ascendant, mais la progression même du récit poétique est éclairante : cadre de la
scène (v.1à7) progression des fourmis (v.8à23) mort et postérité du poète Valmiki (v.24à28).
L’accent est donc mis sur l’image de la
dévoration par la mort.
Car la fourmi est ici métaphorique de la mort.
Le lexique est lui aussi un facteur d’angoisse dans le poème :
« noie », « halète », « pullulant », « anéantit », « s’amassant », « squelette »…
En conclusion, nous pouvons dire que ce poème à la beauté régulière et au pessimisme profond est l’allégorie de la condition humaine,
désormais coupée de sa source originelle et fait plus particulièrement référence au souci du poète d’être impuissant face à la mort malgré le
culte de la beauté formelle..
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