Claude-Emmanuel Lhuillier, dit CHAPELLE (1626-1686) - L'hiver
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Claude-Emmanuel Lhuillier, dit CHAPELLE (1626-1686) - L'hiver A Monsieur l'abbé de Chaulieu. Cher abbé, souviens-toi qu'Horace Veut qu'on mette pendant ces froids Largement du vin dans la tasse Et dans le foyer force bois. Vois-tu nos arbres et nos toits Soutenir à peine le poids De la neige qui s'y ramasse ? Vois-tu nos fleuves, comme en Thrace, Si bien arrêtés pour deux mois, Que bientôt à la même place, Où roulaient les flots autrefois, Tu verras rouler les charrois Sur leur ferme et stable surface ? Les aquilons ont glacé l'air ; Le soleil n'ose plus aller, Et, puisque tant de temps se passe Sans qu'il paraisse dans les cieux, Crois que le forgeron des dieux Lui ferre ses chevaux à glace. La terre aussi, s'émerveillant De voir de la céleste voûte Lui manquer le secours brillant, De crainte se cache en déroute ; Et, partout aux yeux défaillant, S'en va bientôt faire, sans doute, Au peuple brute banqueroute, Qui n'a plus, dans tout son vaillant, Que l'écorce du bois qu'il broute. Plus desséché qu'un hareng pec, Le poisson meurt sous ses entraves ; Pour mettre de quoi dans leur bec, Les oiseaux se font nos esclaves ; Et nous-mêmes, sans choux ni raves, Ne vivons dans ce rude échec Que de ce dont Melchissédec Reput Abraham et ses braves, C'est-à-dire de beau pain sec, Et du bon gros vin de nos caves. Abbé, long sera ce désordre, Qui tout l'univers a transi ; Et nous va ce grand hiver-ci Donner bien du fil à retordre. Il a nos jardins endurci, Et corrompu tous nos mets, si Que qui peut y trouver à mordre Au ciel doit un beau grand merci. Tenons-nous donc, toi dans Évreux, Où soir et matin tu festines Avec la fleur des héroïnes, Moi dans Anet, lieu plein de jeux Et de bons vins, les plus fameux De France et des îles voisines. Aussi m'y crois-je tant heureux Et comblé de faveurs divines, Que, pendant tout ce temps affreux, Pour en sortir, d'un mois ou deux Ne feront place à mes bottines Mes souliers, si tu ne le veux Et qu'âprement tu ne t'obstines, Ou que, pour faire au ciel des voeux, Jussac, du bien vivre amoureux, A Noel ne m'entraîne à matines.
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