Claude-Joseph DORAT (1734-1780) (Recueil : Les baisers) - Hymne au baiser
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Claude-Joseph DORAT (1734-1780) (Recueil : Les baisers) - Hymne au baiser Don céleste, volupté pure, De l'univers moteur secret, Doux aiguillon de la nature, Et son plus invincible attrait, Éclair, qui, brûlant ce qu'il touche, Par l'heureux signal de la bouche, Avertit tous les autres sens ; Viens jouer autour de ma lyre ; Qu'on reconnaisse ton délire À la chaleur de mes accens. Tu vas sur tes sujets fidèles Dispersant des flèches de feu : Tu nourris de tes étincelles Le flambeau de l'aveugle dieu. Sans toi que serait le bel âge ? Il t'offre son premier hommage, Il s'éclaire de tes rayons ; Et, des désirs hâtant l'ivresse, Sur les lèvres de la jeunesse Tu fais tes plus douces moissons. Loin de l'oeil éclatant du monde, Combien d'êtres infortunés, Dans une obscurité profonde, À gémir semblent condamnés ! Pour eux Zéphyr est sans haleine, Les épis qui dorent la plaine, Rarement mûrissent pour eux ; Toi seul les retiens à la terre, Et, même au sein de leur misère, Tu leur apprends l'art d'être heureux. La fleur qui pare nos prairies, Te doit son lustre et son odeur. Ces arbrisseaux que tu maries, Sont tous éclos de ta chaleur. Ces ruisseaux fuyant sous l'ombrage, Ces flots caressant leur rivage, Par ton souffle vont s'embraser ; Pourquoi des lèvres demi-closes Ont-elles la couleur des roses ? C'est là que siège le baiser. Le froid scrupule en vain s'offense De tes bienfaits consolateurs ; Tu tiens sous ton obéissance Sages, héros, législateurs. César quitte le Capitole, Il menace, il s'élance, il vole, Tout cède à ses travaux guerriers : Mais il revient, briguant des chaînes, Caresser les dames romaines À l'ombre même des lauriers. Ce Mahomet, ce fou sublime, Contre tous les périls armé, Qui pour l'erreur et pour le crime Avait cru ce globe formé, Aurait-il, conquérant austère, Supporté l'ennui de la guerre, Sans les baisers de ses houris, Qui charmaient son âme inquiète, Et, dans le sérail du prophète, Réalisaient son paradis. Mais des demeures fastueuses Tu crains l'appareil imposant ; Les passions trop orageuses En bannissent le sentiment. Ah ! Sur des lèvres altérées, Et par l'ennui décolorées, Voudrais-tu donc te reposer ? Ces lambris dorés, cette estrade Ces carreaux, ces lits de parade, Sont l'épouvantail du baiser. Fuis sous les feuillages champêtres : C'est là que réside la paix, Et qu'à l'ombre des jeunes hêtres On pratique tes doux secrets. Sur des gerbes, sur une tonne, Le baiser s'y prend, ou s'y donne ; Le plaisir n'y fait pas compter ; Et l'impitoyable étiquette Sur les lèvres d'une coquette Ne t'y fait jamais avorter. Mais en quelques lieux qu'on t'appelle, Ne déserte point mon réduit ; Si j'ai pu te rester fidèle, Que tes faveurs en soient le fruit ! Sème des fleurs sur ma jeunesse ; Jusques dans la froide vieillesse Renouvelle encor mes désirs, Et puisses-tu, pour récompense, Rencontrer souvent l'innocence, Et la soumettre à tes plaisirs ! Puisse à ce prix trompant sa mère, La jeune fille de quinze ans, Dans son alcôve solitaire Méditer ton art dans mes chants, Interroger son âme oisive, Dévorer l'image expressive De l'amoureuse volupté, Ne voir que baisers dans ses songes, Et soupçonner dans ces mensonges Les douceurs de la vérité !
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