Commenter cette opinion d'un critique : «Si Ronsard a imposé à la langue et à la versification des réformes aussi profondes, ce n'était en définitive que pour fournir à de nouveaux thèmes d'inspiration des moyens d'expression et des cadres dignes d'eux. » ?
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«
Commenter cette opinion d'un critique : «Si Ronsard a imposé à la langue et à la versification des réformes aussi profondes, ce n'était en définitive que pour
fournir à de nouveaux thèmes d'inspiration des moyens d'expression et des cadres dignes d'eux.
»
Introduction
Ronsard est avant tout un poète orgueilleux de sa mission.
Il n'est grammairien que par occ asion.
Mais la langue qui manquait de richesse et de vigueur, la
versification qui manquait de souples se, de variété et d'ampleur se révélaient autant d'instruments inaptes à soutenir et à traduire son ins piration.
En
technicien averti, il se préocc upa donc de parfaire l'un et l'autre.
M ais sa préoccupation ess entielle restait la poésie.
C 'est en ce sens que l'on a pu dire : «
Si Ronsard a imposé à la langue et à la versification des réformes aussi profondes, c e n ' é t a i t e n définitive que pour fournir à de nouveaux thèmes
d'inspiration des moyens d'expression et des cadres dignes d'eux.
»
I.
Il a imposé à la langue des réformes profondes
A .
A U V O C A B U L A IRE A U Q UEL IL A INSUFFLÉ :
1° la vigueur et le pittoresque : emprunts aux dialectes (vallon et picard de préférence) ; emprunts aux langages techniques (métiers) ;
2° la couleur poétique, la grâce, l'harmonie : emprunts au latin (« avette » pour abeille), surtout au grec (« idole ») ;
3° le sens des nuances : les mots composés avec préfixes ou suffixes, qui expriment des nuances supplémentaires, s'ajoutent au sens essentiel fourni par
le radical (les diminutifs « doucelette », « verdelet », « âmelette ») ;
4° la richesse : à l'aide de tous les apports préc ités, des mots formés par dérivation (« provignement », verve a fourni « verver » et «vervement»), des noms
composés (« donne-blé », « doux amer», «mal rassis»).
B.
A LA SY N T A XE A LA Q U E L L E I L A I N S U F F L É :
1° l'aisance : infinitif employé comme nom (l'aller, le chanter, le vivre, le mourir) ; — adjectif employé comme nom (le liquide des eaux, le frais, des ombres ) ;
l'inversion, l'adjectif préc édant le nom (« la grecque beauté ») ;
2° la légèreté : l'adjectif employé comme adverbe («ils combattent obstinés », « il vole léger »).
II.
II a imposé à la versification des réformes profondes
Il développe l'harmonie et la souplesse :
a) à l'intérieur des vers : la rime sera riche mais sans affectation ; la césure à l'hémistiche ; il proscrit l'hiatus ;
b) dans les groupes de vers : emploi des rimes plates, alternées, croisées, embrassées.
V ariété des mesures : depuis l'alexandrin jusqu'au vers de deux
pieds, en passant par le décasyllabe (usité dans La Franciade) ;
c) dans les genres poétiques : au lieu des genres à forme fixe qui bridaient l'inspiration — « rondeaux, ballades...
et autres épiceries » — par leurs règles trop
strictes (la même rime revenant s ans cesse, tel vers ou telle portion de vers ramenés obligatoirement en refrain à une place stric te), il emprunte aux Grecs
et aux Latins l'épigramme (Martial), l'élégie (T ibulle), l'églogue (V irgile et T héocrite), l'épopée (Homère), l'ode (P indare), l'odelette propre aux sujets
galants.
A ux Italiens, il emprunte le sonnet : tous genres dont les règles sont assez précises pour disc ipliner l'inspiration, ass ez souples pour ne pas la
brider, et impos ent des rythmes et des règles en harmonie avec le genre d'inspiration des thèmes qu'ils: traitent.
III.
Surtout il a traité des thèmes nouveaux
C es réformes de la langue et de la versific ation mettaient à la disposition de Ronsard un instrument d'expression et des cadres appropriés aux grands
thèmes lyriques qu'il développe.
A .
— LA N A T U RE.
(Exemple de paragraphe développé.)
1° L'idée exprimée en tête.
2° Les exemples qui citent des points précis dans son oeuvre où apparaît la nature.
La nature est partout dans s on oeuvre et c 'est peut-être, parmi les grands thèmes lyriques, c elui qu'il a le plus largement traité.
Sans doute la voit-il à
travers les souvenirs de l'antiquité et assoc ie-t-il sans cesse les paysages qu'il voit à ceux que chantaient les poètes grecs et latins.
C ouc hé sous tes ombrages verts
Gastine je te chante A utant que les Grecs par leurs vers
La forêt d'Érymanthe.
Sans cesse ces paysages lui évoquent des souvenirs mythologiques : les nymphes hantent la fontaine Bellerie et s e cachent sous les arbres de la forêt de
Gastine que hantent aus si les Satyres, les Sylvains et les Naïades.
Mais ces souvenirs ne s 'interposent pas entre lui et la nature.
Soit qu'il peigne le « soleil
se plongeant dedans l'onde » ou les rides que le vent trace à la surface de l'eau, la peinture est vraie et pittoresque ; d'autant plus vraie et pittoresque
d'ailleurs que ce sont des cadres familiers qu'il se plaît à décrire — son Gastinais ou son cher V endômois .
Il l'a peint comme un c adre agréable et reposant
où l'on jouit du coloris et du parfum des fleurs, où l'on se repos e à la fraîcheur des sources, aux ombrages des bois.
Enfin, entre l'homme et la nature, il sent
des c orrespondances qui s'expriment tantôt sous la forme de grac ieux symboles où les saisons de l'année figurent les âges de la vie, où les jeunes filles
sont comparées à des fleurs, tantôt encore, et c'est là que Ronsard atteint au grand lyrisme, sous la forme de l'émouvant contraste entre la nature éternelle
et l'homme qui passe.
B.
— LA M O R T .
La perception de ce contraste ramène naturellement le poète au sentiment de la mort.
C e sentiment de la mort qui se présente dans ses
oeuvres de jeunesse et de maturité s ous la forme de la mélancolie deviendra, à mesure qu'il sentira davantage sur lui le poids du temps, une angois se
halluc inante : il crée alors une forme de poésie aux antipodes de la poésie gracieuse de sa maturité dont l'inspiration dominante est la s tupeur morne de
l'âme devant la désagrégation du corps devenu incapable de vivre sa vie.
L'anéantissement de la vie physique aboutit c hez lui à l'anéantis sement de la vie
morale.
Il rappelle V illon par ce s entiment d'horreur phys ique devant la décomposition du corps.
Il en diffère en ceci que chez V illon ce s entiment sert de
point de départ à un drame moral et à l'angoisse de l'au-delà.
C .
— L'A M O UR.
Sous le s igne de la mort, le sentiment de l'amour prend une teinte partic ulière.
Dans les sonnets à C assandre, à M arie, à Hélène, il y a de la
gaieté souriante, de la grâce un peu triste, de la tendresse émue.
Il y a s urtout une mélancolie touchante qui va grandissante à mesure que Ronsard vieillit.
Il exprime avec émotion la brièveté de nos bonheurs terrestres et il nous invite à en jouir avant que le malheur ne fonde sur nous.
C 'est le thème du c élèbre
sonnet à Hélène : Q uand vous serez bien vieille...
C e désir de profiter pleinement de la vie qui passe aboutit naturellement chez Ronsard à une soif de
jouiss ance, sensible surtout dans ses oeuvres de vieillesse.
Conclusion: A ins i Ronsard s'es t donc attaché à faire de la langue et de la versification des ins truments susceptibles de traduire sans gêne et sans faiblesse
les grands thèmes poétiques du lyrisme.
C 'est à une rénovation du même genre que nous fait assister le Romantisme.
Rien d'étonnant, par suite, si les
Romantiques ont restitué à Ronsard, tombé dans l'oubli pendant deux siècles, la place d'honneur qui lui était due.
Si haut qu'ils placent la poésie, les grands
poètes n'hésitent pas à descendre dans le détail de la technique, car ils savent qu'il n'es t pas de grand art qui ne s'appuie sur une solide technique : la
technique, loin de brider l'artiste, le soutient au c ontraire et exalte son inspiration..
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