Corneille, Le Cid, Acte IV, scène 3.
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«
Corneille, Le Cid, Acte IV, scène 3.
DON RODRIGUE
Par mon commandement la garde en fait de même,
Et se tenant cachée, aide à mon stratagème ;
Et je feins hardiment d'avoir reçu de vous
L'ordre qu'on me voit suivre et que je donne à tous.
Cette obscure clarté qui tombe des étoiles
Enfin avec le flux nous fait voir trente voiles ;
L'onde s'enfle dessous, et d'un commun effort
Les Maures et la mer montent jusques au port.
On les laisse passer ; tout leur parait tranquille ;
Point de soldats au port, point aux murs de la ville.
Notre profond silence abusant leurs esprits,
Ils n'osent plus douter de nous avoir surpris ;
Ils abordent sans peur, ils ancrent, ils descendent,
Et courent se livrer aux mains qui les attendent.
Nous nous levons alors, et tous en même temps
Poussons jusques au ciel mille cris éclatants.
Les nôtres, à ces cris, de nos vaisseaux répondent ;
Ils paraissent armés, les Maures se confondent,
L'épouvante les prend à demi descendus ;
Avant que de combattre ils s'estiment perdus.
Ils couraient au pillage, et rencontrent la guerre ;
Nous les pressons sur l'eau, nous les pressons sur terre,
Et nous faisons courir des ruisseaux de leur sang,
Avant qu'aucun résiste ou reprenne son rang.
Mais bientôt, malgré nous, leurs princes les rallient,
Leur courage renaît, et leurs terreurs s'oublient :
La honte de mourir sans avoir combattu
Arrête leur désordre, et leur rend leur vertu.
Contre nous de pied ferme ils tirent leurs alfanges ;
De notre sang au leur font d'horribles mélanges.
Et la terre, et le fleuve, et leur flotte, et le port,
Sont des champs de carnage où triomphe la mort.
Ô combien d'actions, combien d'exploits célèbres
Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres,
Où chacun, seul témoin des grands coups qu'il donnait,
Ne pouvait discerner où le sort inclinait !
J'allais de tous côtés encourager les nôtres,
Faire avancer les uns et soutenir les autres,
Ranger ceux qui venaient, les pousser à leur tour,
Et ne l'ai pu savoir jusques au point du jour.
Mais enfin sa clarté montre notre avantage ;
Le Maure voit sa perte, et perd soudain courage :
Et voyant un renfort qui nous vient secourir,
L'ardeur de vaincre cède à la peur de mourir.
Contexte et éléments pour l’introduction
Ce passage se situe à l’avant-dernier acte du Cid, à un moment où Rodrigue – qui vaudra à son courage contre les
Maures son surnom de Cid, ainsi que le pardon du roi pour le duel qui l’a opposé au père de Chimène, c’est-à-dire que
la péripétie que constitue l’épisode de la bataille contre les Maures rend possible le dénouement heureux (le mariage de
Chimène et de Rodrigue) de la pièce – raconte cette bataille contre les Maures qu’il vient de livrer et durant laquelle il
s’est montré héroïque.
Les règles de bienséance du théâtre classique refusaient en effet que des faits d’armes soient
représentés sur scène : l’auteur dramatique doit donc, pour rendre compte de ces faits d’armes, recourir à l’astuce
d’une narration prise en charge par l’un des personnages de la pièce.
Ce respect des règles de la bienséance constitue une première clé de lecture possible du texte : il faudra observer en
effet comment Corneille, qui ne peut représenter réellement une bataille sur la scène, parvient tout de même à
représenter cette bataille par le biais du langage ; il faudra donc étudier tous les procédés par lesquelles cette bataille
est mise en scène grâce au langage – et notamment le recours au style épique.
On pourra remarquer que c’est ce récit
épique de la bataille qui structure le texte, puisqu’on y distingue deux parties, la première, jusqu’à « Et courent se
livrer aux mains qui les attendent.
», se rapportant au silence précédant la bataille et au piège tendu aux Maures, la
seconde, qui commence avec « Nous nous levons alors, et tous en même temps / Poussons jusques au ciel mille cris.
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