Crépuscule - Apollinaire, Alcools
Extrait du document
«
Apollinaire dédia le poème Crépuscule issu du recueil Alcools à Marie Laurencin.
En composant Crépuscule le poète donna à
celui-ci une tonalité très particulière, même ambiguë puisqu'il joue sur une alternance entre les domaines de la réalité et de
la fiction.
Du poème émane donc une atmosphère de mystère, accentuée par la présence de la mort et la notion de
théâtralité.
Le poète nous offre en effet une vision de mort.
La scène se situe au crépuscule ; la nuit, les ténèbres envahissent les lieux
et tout s'assombrit, baigne dans l'ombre, le noir.
Cette couleur représente justement cette idée de mort, couleur de deuil,
lugubre, triste.
D'emblée les lieux deviennent inquiétants, hostiles.
Puis apparaissent « les ombres des morts » qui «
matérialisent » cette idée de décès, de fin.
En effet, on ressent cette impression d'agonie, de mort prochaine.
Le poète
exprime cette sensation par un verbe « s'exténue », et par certains adjectifs « pâles », « blême ».
La mort semble là en
suspens, elle accorde un dernier sursis.
Les adjectifs expriment l'état maladif, morbide et cet état prédispose à mourir.
La
mort envahit donc l'univers que nous offre Apollinaire.
D'un côté se meuvent « les ombres des morts », et l'on imagine là un
cimetière où errent ces ombres ; on peut se situer également dans quelque château hanté.
Dans les deux cas, cette vision
macabre est inquiétante, effrayante.
Apollinaire nous présente également un « pendu » qui déjà est pris dans la danse
macabre, puisque mort il semble retrouver vie pour sonner des cymbales.
Et enfin la mort pèse sur les êtres de la scène.
Cette menace constante est également ressentie par la présence de l'eau, « l'étang ».
Cette eau, que la nuit rend noire,
devient inquiétante.
Aucune pénétration n'est possible.
L'étang offre une surface calme, mais noire et inquiétante car d'elle
émane le mystère : il peut cacher quelque horrible secret, renfermer même la mort.
Cependant une autre vision vient rassurer et de là naît l'ambiguïté.
En effet Apollinaire nous présente également une image
de la scène, du théâtre et la sensation inquiétante donnée par la présence de la mort est effacée ou atténuée par la notion
de théâtralité.
Apollinaire nous présente des êtres de théâtre, de scène, des « arlequins », « arlequines », des « nains ».
On
croit assister là à une immense comédie, à un jeu.
Une animation prodigieuse règne dans ce lieu.
Ne serait-on pas dans un
cirque ou une fête foraine, assistant à un spectacle en plein air ? En effet il existe une mise en scène tout comme au théâtre
et les « tréteaux » signifient bien « les planches ».
Les acteurs et comédiens sont présents et les « spectateurs » attendent
le commencement du spectacle.
Apollinaire réunit donc les conditions nécessaires pour créer une ambiance de fête, ambiance
propre au théâtre, aux comédiens.
Il respecte là les rites du spectacle : la propagande faite par le « charlatan » qui « vante
les tours », le désir de plaire au public exprimé par « l'arlequin blême » qui salue, la sonorité percutante donnée là par les
cymbales.
On trouve une reconstitution parfaite de la vie des êtres de scène, vie agitée, animée, fébrile, faite de contacts
fragiles avec ce public.
Apollinaire a donc apporté un peu de vie en présentant le mythe du théâtre et cet apport, en
s'opposant à l'idée de mort, est une des causes de l'atmosphère mystérieuse régnant sur le poème.
En effet, on découvre une tonalité étrange créée par la situation dans le temps tout d'abord.
Le crépuscule est un moment
propice à l'imagination : le soir tombe, les ombres apparaissent, tout s'estompe.
Plus de contours particuliers ; on ne
distingue plus très bien les formes, tout est flou.
L'éclairage produit aussi un certain effet : la seule lumière est la lumière
lunaire, blafarde et glauque.
Le ciel est sans teinte et les astres sont « pâles comme du lait » : comparaison qui suggère bien
cette lumière voilée, opaque.
La situation et l'éclairage favorisent donc l'apparition de ces morts errants et la présence de
ceux-ci crée une impression de malaise, une peur d'être pris dans leur danse funèbre.
Leur présence semble d'ailleurs
invraisemblable car Apollinaire nous entraîne dans un autre monde, un monde de cauchemar.
Cette invraisemblance est
accentuée par l'apparition des sorciers, des fées et des enchanteurs, ces êtres de fiction qui accentuent ce passage dans un
autre univers.
Ils se réunissent en général pour assister à une messe noire et ils nous font penser à une oeuvre musicale : « Une Nuit sur
le Mont Chauve ».
Mais ici ces « sorciers » ne sont que spectateurs, leur contexte habituel n'est pas respecté et de là naît
encore la tonalité inquiétante.
Tout le poème est d'ailleurs un va-et-vient entre le réel et le fictif.
Alternance qui engendre un
certain déséquilibre car le lecteur se retrouve sans repère et sans appui : à lui de reconnaître les fantasmes exprimés.
Apollinaire prive volontairement le lecteur de ces repères car la présentation des personnages se fait très brève ; on ne fait
qu'apercevoir l'être.
En effet Apollinaire noie sa présentation dans une énumération de détails sur l'extérieur et les figures
n'apparaissent que par intermittence et très peu de temps.
Le poète a conservé le flou dans cette vision des êtres.
Le
poème épouse donc un rythme assez rapide qui entraîne le lecteur dans un cercle infernal où il ne se reconnaît pas.
Et le
poète
joue aussi sur l'opposition du clair-obscur : sur le ciel sombre se détachent les « astres pâles comme du lait », l'arlequin «
blême et l'étoile.
Contraste qui crée une impression de mystère supplémentaire.
Atmosphère angoissante, car la mort est
présente et cette présence s'allie à l'idée de la fête et de l'agilité fantasque des comédiens qui « décrochent une étoile ».
Apollinaire met une dernière touche en mélangeant toutes sortes de gens peu assortis : l'aveugle et le bel enfant, le nain et
le géant...
Le poète a donc créé une atmosphère tendue, angoissante, par la présence de la mort, et pourtant animée et
gaie par la notion du spectacle, de la comédie et par la coexistence de ces deux aspects d'où naît le pouvoir mystérieux du
poème.
Apollinaire a exprimé dans Crépuscule un certain fantasme.
La coexistence de la mort et de l'univers du théâtre exprime le
trouble du poète.
Cette postulation vers la mort d'une part et vers la vie de l'autre, représentée par l'animation du théâtre,
peut se rapprocher de celle de Baudelaire.
Dans les vers les plus angoissants de Crépuscule, Apollinaire reprend peut-être
quelques échos de Spleen..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Salomé, Alcools (Apollinaire)
- Le Pont Mirabeau - Guillaume Apollinaire- Alcools
- Le brasier, Alcools (Apollinaire)
- Aragon disait : « Il n'y a poésie qu'autant qu'il y a méditation sur le langage, et à chaque pas réinvention de ce langage. Ce qui implique de briser les cadres fixes du langage, les règles de la grammaire, les lois du discours ». Cette conception permet-elle de rendre compte de la poésie d'Apollinaire dans Alcools ?
- Alcools de Guillaume Apollinaire