Dans son essai sur Les Personnages, Sylvie Germain, romancière contemporaine, écrit: tous les personnages sont des dormeurs clandestins nourris de nos rêves et de nos pensées. Cette conception du personnage vous paraît-t-elle partagée par les romanciers que vous connaissez.
Extrait du document
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Définition des termes du sujet
Le sujet porte sur la question de la nature des personnages de romans.
Il en propose une définition métaphorique,
qui tend vers la poésie beaucoup plus que vers la théorie littéraire, si bien qu'il va falloir être particulièrement
attentif à expliciter cette métaphore et à en mettre en évidence les enjeux, en s'y arrêtant assez longuement dans
l'introduction du devoir.
On peut remarquer d'abord le caractère absolu et général du propos de Sylvie Germain, puisqu'elle parle de « tous
les personnages » : autrement dit, elle semble proposer ici une définition du personnage qui vaudrait dans tous les
cas, pour toutes les esthétiques romanesques, ce qui peut porter à la problématisation et à la critique.
Il faut
ensuite expliquer l'expression « dormeurs clandestins nourris de nos rêves et de nos pensées ».
Cette expression se
décompose en deux temps : le premier temps définit la nature même du personnage, et qui est une nature de
« dormeur clandestin » ; la seconde partie porte sur la manière dont les personnages viennent à l'existence, dans un
processus par lequel il sont « nourris de nos rêves et de nos pensées ».
Un dormeur est à la fois un être inconscient
et un rêveur : cela pourrait signifier que le personnage de roman n'a pas de prise sur ce qui lui arrive – peut-être
parce qu'il est mis en forme par le romancier ; un clandestin est un être qui est présent sans y avoir été autorisé,
qui vit dans le secret : le personnage pourrait alors être compris comme un être qui s'insinue dans l'esprit du lecteur,
qui s'y impose et le marque d'une manière cachée, détournée.
Quant à la seconde partie de l'expression, elle fait du
personnage un être qui existe parce que « nous » (l'auteur, mais aussi, ici, le lecteur, car l'extension du déterminant
possessif « nos » n'est pas précisée) le nourrissons par nos rêves et nos pensées, nos rêves pouvant être à la fois
ce dont nous rêvons effectivement quand nous dormons et ce à quoi nous aspirons, et nos pensées étant tout ce
que nous pensons et formulons rationnellement – autrement dit, c'est l'ensemble du champ des productions
mentales humaines, conscientes et inconscientes, qui viennent nourrir, d'une manière collective, les personnages de
roman.
Cette définition semble amoindrir le rôle du romancier, dont l'inspiration serait d'origine collective plus qu'individuelle ;
d'autre part, elle lie le personnage au thème des rêves et des pensées, semblant élever le personnage au-dessus du
domaine du réel quotidien – la teneur poétique de la définition proposée accentue d'ailleurs ce lien : ce sont ces
deux éléments qui peuvent, dans la citation de Sylvie Germain, être particulièrement problématiques : peut-on en
effet considérer le personnage comme une production après-coup, nourrie de la pensée collective, et non comme
une création originale dont l'auteur a tout le mérite ? Est-il d'autre part pertinent de faire du personnage un medium
du rêve, plus que de la réalité ?
Eléments pour le développement
I.
Le personnage comme émanation inconsciente des pensées et des rêves collectifs
La première partie pourra essayer de valider la citation de Sylvie Germain en cherchant des exemples d'œuvres
romanesques dans lesquelles le personnage pourrait se définir comme le fait le sujet et en interrogeant ces
exemples.
Le personnage tel qu'il est défini par Sylvie Germain est essentiellement collectif, il semble cristalliser des rêves et
des pensées publiques et agir, en retour, comme une instance artistique publique, d'une manière clandestine car
médiatisée par l'art.
Pour illustrer cela, on pourra penser à des personnages de roman particulièrement marquants et
donc présents dans la culture collective de tous, même si tous n'ont pas lu le roman dont il émane : par exemple,
chez Hugo, des personnages tels que Jean Valjean, dans les Misérables, ou de Quasimodo ou d'Esmeralda, dans
Notre-Dame de Paris, semblent appartenir à une culture et à un inconscient collectifs, en même temps qu'ils
incarnent des affects collectifs, liés, selon les cas, à la justice, à la rédemption, au malheur, etc.
Cela peut valoir
pour de nombreux personnages particulièrement célèbres : Valmont dans les Liaisons dangereuses de Choderlos de
Laclos, Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal…
D'autre part, il se présente comme un dormeur clandestin, comme si la part de création qu'il représente n'était pas
l'émanation de la volonté de l'auteur, mais une sorte d'expression d'une pensée ou d'un rêve de son époque, de la
culture à laquelle il appartient, etc.
On retrouve là une doctrine de l'inspiration semblable à celle des poètes de
l'Antiquité ou du XVIè siècle, si bien que l'on pourrait mener une réflexion sur le statut des personnages au sein de
l'avatar ancien du roman qu'est l'épopée : chez Homère, Ulysse, Achille, Hector, etc., peuvent-ils être considérés
comme des créations esthétiques personnelles à Homère, ou comme des « dormeurs clandestins nourris des rêves et
des pensées » de l'époque grecque archaïque ? Le flottement autour du personnage d'Homère accentue leur
perception collective ; les personnages homériques semblent bien correspondre à la définition proposée par Sylvie
Germain..
II.
Le personnage comme mode de prise en charge, par un auteur original, de sa vision de l'homme et du
monde
La seconde partie pourra confronter la vision de Sylvie Germain en mettant l'accent sur le rôle de la conscience et
du travail personnels de l'auteur dans l'élaboration du personnage, et en minimisant la part de rêve que renferme le
personnage.
L'exemple de la « fabrication » de nombreux personnages et de déterminismes qui leur sont propres par Zola, dans
l'ensemble du cycle des Rougon-Macquart, invite à envisager le personnage comme un système clos, cohérent et.
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