Denis Diderot - La Religieuse
Extrait du document
Quand je fus arrivée à ce petit oratoire, qui était éclairé de deux lumières, on m'ordonna de demander pardon à Dieu et à la communauté du scandale que j'avais donné ; c'était la religieuse qui me conduisait qui me disait tout bas ce qu'il fallait que je répétasse, et je le répétais mot à mot. Après cela on m'ôta la corde, on me déshabilla jusqu'à la ceinture, on prit mes cheveux qui étaient épars sur mes épaules, on les rejeta sur un des côtés de mon cou, on me mit dans la main droite la discipline que je portais de la main gauche, et l'on commença le Miserere. Je compris ce que l'on attendait de moi, et je l'exécutai. Le Miserere fini, la supérieure me fit une courte exhortation. On éteignit les lumières, les religieuses se retirèrent, et je me rhabillai.
Quand je fus rentrée dans ma cellule, je sentis des douleurs violentes aux pieds ; j'y regardai ; ils étaient tout ensanglantés des coupures de morceaux de verre que l'on avait eu la méchanceté de répandre sur mon chemin.
Je fis amende honorable de la même manière, les deux jours suivants ; seulement le dernier, on ajouta un psaume au Miserere.
Le quatrième jour, on me rendit l'habit de religieuse, à peu près avec la même cérémonie qu'on le prend à cette solennité quand elle est publique.
Le cinquième, je renouvelai mes vœux. J'accomplis pendant un mois le reste de la pénitence qu'on m'avait imposée, après quoi je rentrai à peu près dans l'ordre commun de la communauté : je repris ma place au chœur et au réfectoire, et je vaquai à mon tour aux différentes fonctions de la maison. Mais quelle fut ma surprise, lorsque je tournai les yeux sur cette jeune amie qui s'intéressait à mon sort ! Elle me parut presque aussi changée que moi ; elle était d'une maigreur à effrayer ; elle avait sur le visage la pâleur de la mort, les lèvres blanches et les yeux presque éteints.
« Sœur Ursule, lui dis-je tout bas, qu'avez-vous ?
- Ce que j'ai ? me répondit-elle ; je vous aime, et vous me le demandez ! Il était temps que votre supplice finît, j'en serais morte. »
……
Denis Diderot
La Religieuse
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