Diderot, Le Neveu de Rameau.
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Diderot, Le Neveu de Rameau.
[Le Philosophe (MOI) et le Neveu de Rameau (LUI) viennent de convenir que tout le monde, même le souverain, est soumis à la pantomime universelle. C'est le dernier échange "philosophique" de l'œuvre].
MOI. - [Cela est supérieurement exécuté, lui dis-je. ] Mais il y a pourtant un être dispensé de la pantomime. C'est le philosophe qui n'a rien et qui ne demande rien.
LUI. - Et où est cet animal-là ? S'il n'a rien il souffre ; s'il ne sollicite rien, il n'obtiendra rien, et il souffrira toujours.
MOI. - Non. Diogène se moquait des besoins.
LUI. - Mais, il faut être vêtu.
MOI. - Non. Il allait tout nu.
LUI. - Quelquefois il faisait froid dans Athènes.
MOI. - Moins qu'ici.
LUI. - On y mangeait.
MOI. - Sans doute.
LUI. - Aux dépens de qui ?
MOI.- De la nature. A qui s'adresse le sauvage ? à la terre, aux animaux, aux poissons, aux arbres, aux herbes, aux racines, aux ruisseaux.
LUI. - Mauvaise table.
MOI. - Elle est grande.
LUI. - Mais mal servie.
MOI. - C'est pourtant celle qu'on dessert, pour couvrir les nôtres.
LUI. - Mais vous conviendrez que l'industrie de nos cuisiniers, pâtissiers, rôtisseurs, traiteurs, confiseurs y met un peu du sien. Avec la diète austère de votre Diogène, il ne devait pas avoir des organes fort indociles.
MOI. - Vous vous trompez. L'habit du cynique était autrefois, notre habit monastique avec la même vertu. Les cyniques étaient les carmes et les cordeliers d'Athènes.
LUI. - Je vous y prends. Diogène a donc aussi dansé la pantomime ; si ce n'est devant Périclès, du moins devant Laïs ou Phryné.
MOI. - Vous vous trompez encore. Les autres achetaient bien cher la courtisane qui se livrait à lui pour le plaisir.
LUI. - Mais s'il arrivait que la courtisane fût occupée, et le cynique pressé ?
MOI. - Il rentrait dans son tonneau, et se passait d'elle.
LUI. - Et vous me conseilleriez de l'imiter ?
MOI. - Je veux mourir, si cela ne vaudrait mieux que de ramper, de s'avilir, et de se prostituer.
LUI. - Mais il me faut un bon lit, une bonne table, un vêtement chaud en hiver ; un vêtement frais, en été ; du repos, de l'argent, et beaucoup d'autres choses, que je préfère devoir à la bienveillance, plutôt que de les acquérir par le travail.
MOI. - C'est que vous êtes un fainéant, un gourmand, un lâche, une âme de boue.
LUI. - Je crois vous l'avoir dit.
MOI. - Les choses de la vie ont un prix sans doute ; mais vous ignorez celui du sacrifice que vous faites pour les obtenir. Vous dansez, vous avez dansé et vous continuerez de danser la vile pantomime.
LUI. - Il est vrai. Mais il m'en a peu coûté, et il ne m'en coûte plus rien pour cela. Et c'est par cette raison que je ferai mal de prendre une autre allure qui me peinerait, et que je ne garderais pas. (...)
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