Discutez de l'affirmation de Victor Hugo : ...ton libérateur, c'est le livre ?
Extrait du document
«
La citation est extraite du poème A qui la faute de Victor Hugo.
Elle est prononcée par un révolutionnaire qui
surprend son camarade en train d'incendier une bibliothèque (pendant la Commune de 1870).
La notion de
« libération » se voit donc d'emblée rattachée à sa signification politique.
Pourtant, le texte écrit exerce sur les
individus une puissance qui n'épargne aucun domaine, et qu'il serait tentant de considérer non pas comme un
« guide », mais comme une tyrannie.
Quelle est donc cette libération certaine promise par le livre, et ce quel que
soit son contenu ou l'intention de l'auteur qui l'a produit ?
I De quoi libère le livre ?
_ L'imagerie révolutionnaire attribue volontiers à son mouvement une origine livresque, littéraire ou intellectuelle.
Ainsi, Le Contrat Social de Rousseau aurait engendré la Révolution française, L'Utopie de Thomas Moore la révolte
anglaise, La Révolution russe serait toute entière née du Capital de Marx...
De fait, le genre fictionnel remplit
jusqu'au début du XXe siècle une fonction informative.
Le lecteur apprend avec Germinal la condition du mineur, il
découvre dans Du côté de chez Swann la disparition d'un monde qu'est l'aristocratie mourante...
C'est à partir de
ces informations, secondée par l'intention de l'auteur, que l'individu en vient (ou non) à manifester un mouvement de
libération, contre une situation qu'il acceptait, et que le livre lui a fait voir comme injuste ou inacceptable.
_ Ce premier schéma, toutefois, ne peut satisfaire en ce qu'il réduit l'incalculable diversité des expériences de
lectures à une situation-type.
Or, le livre est en premier lieu le réceptacle d'une parole.
Il peut donc véhiculer un
contenu apolitique (ainsi l'Education sentimentale de Flaubert, qui décrit le Révolution de 1848 sans prendre parti
pour les royalistes ni les républicains), voire une pensée antilibératrice, comme chez Balzac, ou encore Barbey
d'Aurevilly.
Quel sens peut on donc attribuer au terme de « libération » si l'objet qu'est le livre peut indifféremment
accueillir une thèse et son contraire ?
_ Il faut donc penser le processus de libération provoqué par le livre indépendamment de toute règle prédéterminée.
Après tout, l'auteur lui-même ignore comment le public recevra son texte.
Au contraire, le lecteur face au texte se
trouve bien dans un état de liberté : il peut tout simplement refuser son contenu (Claudel avait ainsi déclarée
l'œuvre de Nietzsche « illisible » pour lui), en ramener son contenu à des processus qu'il connaît déjà, ou enfin se
transformer lui-même afin de pouvoir comprendre, « rencontrer » le texte.
Le meilleur livre est celui qui permet de
s'étranger à soi-même.
La lecture a pour effet d'ouvrir la conscience du lecteur à ce qui n'est pas elle.
II A quoi la lecture nous soumet-elle ?
_ Bien évidemment, il n'existe pas de liberté pure.
Quiconque parle de liberté ne cherche pas à se dégager de tout
déterminisme, mais simplement d'échapper à une puissance en se soumettant à une autre.
De cette façon il est
légitime d'en conclure que le livre libère l'individu dans l'exacte mesure où il l'aliène.
Ainsi, en quoi consiste la
puissance des fictions littéraires, pour qu'elles puissent ainsi nous couper de nos problèmes les plus immédiats ? On
peut citer à titre d'exemple 451° Fahrenheit de Ray Bradbury, et de la vieille femme choisissant de brûler au milieu
de sa bibliothèque, ou encore les derniers chapitres du Nom de la rose d'Umberto Ecco, où Guillaume de Baskerville
brave les flammes pour en sauver de précieux volumes.
_ Une possibilité de réponse se trouve dans le dialogue de Platon intitulé Phèdre, et prend la forme d'une critique de
l'écriture.
Le livre partage avec la peinture la faculté de faire image, c'est-à-dire de proposer au spectateur une
copie de ce qu'elle décrit, et ce avec suffisamment d'habileté pour faire préférer à ce dernier le système qu'elle met
en place à l'objet de la représentation.
A partir de ce célèbre texte, de nombreux penseurs ont élaboré une vision du
livre comme d'un objet érotique, c'est-à-dire déterminé à subjuguer le lecteur en agissant sur ses désirs sans jamais
les satisfaire tout à fait.
Que cette puissance de séduction du livre fasse l'objet d'une critique ou d'un éloge (ainsi
dans Le plaisir du texte de Roland Barthes), il convient de reconnaître que la confrontation de la conscience du
lecteur au texte est une expérience parfois dangereuse, jamais anodine.
Madame Bovary, pour avoir cédé sans
retenue aux mondes de sensualité promis par la littérature romantique, n'en retire qu'un dégoût profond pour sa vie
de petite bourgeoise provinciale, dégoût qui se résout par le suicide de l'héroïne.
III Apprendre à choisir son maître
_ Il n'est pas du tout absurde de faire le choix de refuser l'activité de lecture : c'est même le sens très précis du
poème dont la citation est extraite.
En effet, l'incendiaire répond à la longue tirade de son camarade : « Je ne sais
pas lire », vers sur lequel le poème se clôt.
Bien sûr, son analphabétisme lui-même n'est que la conséquence de
l'oppression qu'il a subie.
Pourtant, son acte destructeur est en lui-même un acte de libération, puisqu'en supprimant
symboliquement le livre, il crée véritablement un état d'égalité devant la culture.
Ni riche ni pauvre n'auront plus
accès au savoir.
De plus, la tentative littéraire de transformer le réel étant évacuée, elle offre à l'extrémiste
l'avantage de ne plus voir le réel qu'à travers son propre système.
_ De ce fait, la tentation de l'autodafé est éprouvée l'esclave, qui y voit la fin de sa servitude, tout autant que par
le maître, qui connaît pour les avoir lu, le danger que représentent les livres.
Cet accord des groupes ennemis incite
donc à comprendre le terme de « libération » comme un phénomène de pure verticalité.
Le livre en tant que tel n'a
pas sa place au sein des luttes bipolaires.
Sa propriété est au contraire d'ouvrir des voies nouvelles, et s'il libère, ce
n'est pas dans la mesure où il résout les oppositions, mais dans celle où il les dépasse.
_ On peut trouver dans le personnage de Don Quichotte une cristallisation de ces diverses tendances.
Les
personnages du roman voient le monde scindé en deux niveaux de réalités, l'une fictionnelle, et l'autre prosaïque.
Le
curé du village fait un bûcher de la bibliothèque du héros, tandis que Sancho, choisit de suivre son maître, à la
recherche d'une île qu'il ne trouvera jamais que dans sa propre rêverie.
Mais pour le lecteur, la folie du chevalier à la
triste figure ne relève pas des chevaliers de la Reconquista ; elle devenue une réalité en soi, et peu de gens.
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