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Dissertation Baudelaire

Publié le 06/05/2023

Extrait du document

« Rappel du sujet : « Transmuer la misère en bonheur – grâce à l’or – voilà le grand, l’incroyable et mystérieux coup d’alchimie.

Non pas la matière en une autre matière mais bien la matière en esprit » (Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord,1948).

Ces propos du poète Pierre Reverdy s’accordent-ils avec votre lecture des Fleurs du Mal ? Votre réflexion prendra appui sur l’œuvre de Baudelaire et votre connaissance du parcours associé. ______Associée aux sciences occultes du Moyen-Âge, l’alchimie est l’art de la transmutation, permettant de convertir les métaux les plus vils en or.

C’est également le cas de l’art poétique qui dans sa quête d’une transformation spirituelle par la parole, métamorphose le monde, donnant une forme transcendante à la réalité.

À ce titre, le poète Pierre Reverdy écrivait dans Le Livre de mon bord : « Transmuer la misère en bonheur – grâce à l’or – voilà le grand, l’incroyable et mystérieux coup d’alchimie.

Non pas la matière en une autre matière mais bien la matière en esprit ».

Ces propos qui mettent en évidence l’association entre quête alchimique et quête poétique, nous amènent cependant à nous interroger : la poésie, comme dans l’art alchimique, ne serait-elle qu’un moyen de transformation du mal, afin d’atteindre l’idéal ? Le poète a-t-il seulement pour but d’esthétiser et d’embellir la réalité ? ______Ces questionnements fondent la problématique de notre travail à laquelle nous répondrons selon une triple perspective : si la poésie comme nous le montrerons tout d’abord, transmue la misère en bonheur, le poète peut aussi être attiré par le mal, et s’y abandonner.

Enfin, il conviendra de dépasser ce dualisme quelque peu réducteur : indépendamment du bien et du mal, l’art poétique ne constitue-t-il pas, comme le suggère Pierre Reverdy, un dépassement du réel, et une alchimie de « la matière en esprit » ? Nous étayerons notre démonstration par Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire ainsi que le parcours qui lui est associé « Alchimie poétique : la boue et l’or ». ______En premier lieu, nous pouvons considérer que la poésie est un moyen d’idéaliser la banale réalité.

Dans Les Fleurs du Mal, Baudelaire évoque à de nombreuses reprises cette aspiration à l’élévation et à la beauté, notamment par un appel de l’ailleurs, qui apparaît comme une sorte d’échappatoire à la misérable condition humaine.

C’est ainsi que dans le poème « L’invitation au voyage », le poète s’évade là où « tout n’est qu’ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté » : évocation lyrique et presque surnaturelle d’un monde enchanteur et d’un bonheur primitiviste que la vie quotidienne dans son conformisme banal serait incapable de comprendre.

C’est en effet cette quête onirique, toujours caractérisée par une éternelle insatisfaction, voire un refus du monde présent, qui pousse le poète à partir à la recherche d’un ailleurs vague et imprécis, tel que le dépeint Mallarmé dans « Brise marine » [1] : « Fuir ! Là-bas fuir ! Je sens que les oiseaux sont ivres / D’être parmi l’écume inconnue et les cieux ! ». En contrepoint de ce sentiment d’échec existentiel, la poésie procède donc à la fois d’un appel à se libérer des vestiges du quotidien et d’une invitation à entreprendre le voyage rêvé qui est au cœur des ambitions métaphysiques du symbolisme.

Le voyage apparaît ici comme une fuite hors du monde, sans réelle attache ni destination : fuite vers un ailleurs plus beau, où les sensations ne seraient plus émoussées par le vulgaire et le banal.

Voici sans doute pourquoi la quête du bonheur s’accompagne toujours d’un voyage idéalisé.

Plus qu’un simple dépaysement, le voyage est prétexte à une quête de l’inspiration.

Mallarmé annonce dans ce même poème l’idée d’un voyage métaphorique, d’une évasion par le rêve et l’imagination grâce au pouvoir évocateur de la poésie : « Mais ô mon cœur, entends le chant des matelots ! ».

Ainsi, la poésie peut-elle « transmuer la misère en bonheur » pour reprendre les mots de Pierre Reverdy, puisqu’elle permet l’idéalisation du réel. ______D’autre part, cette quête du Bonheur va avec celle de l’amour. Envisagé comme quête de l’inaccessible, l’idéal baudelairien est indéniablement sentimental et féminin : cette aspiration à la perfection, au divin, au beau, se manifeste en effet à travers la femme, partagée entre la beauté de Vénus et la grâce spirituelle de la Vierge.

« Fugitive beauté / Dont le regard m’a fait renaître » : ainsi la décrit-il dans « À une passante » (Tableaux parisiens) où l’instantanéité du moment et la rencontre qui n’a pas eu lieu est ce qui justement la rend si fascinante, puisqu’elle laisse place aux espoirs et à l’imaginaire fantasmé du poète.

Comme un lieu inaccessible, la femme idéale reste à jamais hors du temps, car elle n’existe pas : elle est l’expression tourmentée d’un rêve utopique parfaitement exprimé dans le poème « Un hémisphère dans une chevelure » [2] : « Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j’entends dans tes cheveux ! […] Dans l’ardent foyer de ta chevelure, je respire l’odeur du tabac mêlé à l’opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l’infini de l’azur tropical […] ».

Nous pourrions rattacher ces exemples à la théorie de « l’art pour l’art » fondée sur le culte de la beauté, « déesse et immortelle » tel que la décrit Baudelaire dans « L’étranger » (Le Spleen de Paris).

A cette quête de la beauté personnifiée dans la femme comme source inspiratrice, correspond la perfection du langage poétique, comme quête de l’art pour l’art.

Il n’est donc pas étonnant que Baudelaire s’exclame : « La poésie, pour peu qu’on veuille descendre en soimême, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d’enthousiasme, n’a pas d’autre but qu’elle-même […] » [3].

La poésie n’aurait ainsi de dessein qu’elle-même, à l’opposé de toute préoccupation utilitaire ou matérialiste. ______Pourtant, la poésie ne serait-elle que purement « gratuite » ? N’est-elle pas au contraire la révélation de la condition humaine.? Audelà de sa propre personne, Baudelaire est en effet sensible à la misère du monde qu’il superpose à la sienne.

Dès lors, nous pouvons affirmer que la poésie, comme quête du sens, vise à transmuer la misère humaine : en cherchant à métamorphoser la société vulgaire, le poète métamorphose « la boue en or » et la douleur en plénitude. De fait, les poèmes des Fleurs du Mal, bien que représentatifs d’un profond désespoir intérieur, nous paraissent refléter un état d’âme commun à tous les mortels, dont la triste condition ne pourrait être soulagée que par l’art.

C’est ainsi que dans « Les petites vieilles », les femmes décrépies dont il est question sont des « monstres » qui gardent pourtant un semblant de beauté, car leurs yeux sont des « puits faits d’un million de larmes / Des creusets qu’un métal refroidi pailleta ».

Le poète est donc celui qui réécrit et par la même occasion embellit le monde grossier par la quête d’une vérité supérieure. Comment ne pas évoquer ici les deux derniers vers du « Mendiant » de Victor Hugo (Les Contemplations) : « Et je regardais, sourd à ce que nous disions, / Sa bure où je voyais des constellations » ? Ainsi, les poètes voient-ils et prennent-ils conscience de ce que les autres méprisent et rejettent.

« La poésie est l’étoile », rappelle à ce titre Hugo dans « La fonction du poète » : comparable à un guide, le poète en éclaireur de l’humanité, conduit les hommes vers la quête du sens. C’est dans cette transmutation que réside le bonheur : telle est la mission, le rôle social du poète, car celui-ci a l’aptitude de voir l’inestimable dans la boue, prélude d’une sorcellerie évocatoire dont il s’agit de découvrir la formule magique.

Nous pouvons donc considérer que le poète est un alchimiste de la misère en bonheur : son or n’a rien de métallique ni de vulgaire, il est par une quête de l’idéal, la noble perfection de l’âme qu’il réenchante par le Verbe créateur. ______Au terme de ces premières réflexions, nous devons cependant nous interroger : la poésie se limite-t-elle seulement à cette alchimie positive ? L’œuvre de Baudelaire n’est-elle pas une « œuvre au noir » qui apparaît, sous de nombreux aspects, à l’opposé du « bien » et du bonheur ? ______Il faut tout d’abord rappeler le rejet de la société et de ses valeurs morales de la part du poète, qui n’y occupe plus qu’une place marginale : il s’y sent étranger et « maudit » pour reprendre la célèbre expression de Paul Verlaine [4].

Cette discrimination amène alors un désir de provocation de la société bourgeoise et une totale contradiction avec les codes de l’époque, allant même jusqu’à une propension au négativisme parfaitement exprimée dans la célèbre dédicace à Théophile Gautier : « Au poète impeccable […] je dédie ces fleurs maladives ».

Par leur contact mortifère, les poèmes métamorphosent.... »

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