Dissertation Roman: transfigurer les personnages
Publié le 16/11/2023
Extrait du document
«
Faire vivre une expérience plus forte, plus intense, pour réveiller la
conscience du lecteur...
D'autres auteurs s'efforcent de s'intéresser à un milieu social, d'une manière
très réaliste, comme si les grands récits fictionnels semblaient appartenir à un passé
révolu.
Ils s'intéressent à la société de leur temps, à une civilisation victime de ses
défauts, de sa vanité.
Ce qui est le cas dans « Les Aventures de Télémaque » (1699) de Fénelon ou
les « Lettres persanes » (1721), qui laissent encore une place pour le rêve d'un idéal
(caractéristique du roman utopique).
L'action psychologique domine dans d'autres
créations romanesques où l'homme est victime de lui-même : Maupassant dans
« Bel-Ami » (roman d'apprentissage paru en 1885), retrace le parcours d'un bellâtre
dégingandé sans le sou ni davantage de scrupules, d'un arriviste en quête d'une
ascension sociale.
On l'aura compris, l'écrivain peut très bien décider d'agir comme
un documentariste.
Ce que fait Hugo d'ailleurs dans « Le Dernier jour d'un
condamné » (1829).
Désormais, les héros, disait Albert Camus, « ont notre
langage, nos faiblesses, nos forces ».
Argument qui vaut sans doute pour
« L'Etranger » ou pour « La peste ».
Qui s'applique aussi aux combattants et
insurgés de « La condition humaine » de Malraux.
Le roman moderne aborde des
thèmes de mois en moins disparates : le néant, l'évidement, la perte d'identité.
Il
s'intéresse de plus en plus à ce qui se dit, à ce qui se joue entre des êtres ordinaires.
L'autobiographie est un art qui creuse le sillon de l'intimité d'un être aux prises avec
son entourage.
La tonalité de ces romans-miroirs, hyperréalistes, est plutôt
démoralisante : des êtres qui traversent l'existence comme des fantômes, des
spectres sans consistance en marche vers l'abomination (« L'Enquête » de Philippe
Claudel – 2010).
Par fragments successifs, des écrivains revenus de tout décrivent
un processus de déchéance sociale, de fracture psychologique (roman noir,
underground de Dostoïevski et Kafka jusqu'à Miller, Burroughs, Pynchon,
Lemaitre, Tao Lin).
Ceci dit, un être ordinaire, présenté comme normal peut aboutir,
inversement, à une transfiguration.
Prenons le thème de l'amour d'une génitrice, par
exemple.
Dans la chronique autobiographique de Colette (« Sido ») ou dans « Les
Raisins de la colère » de Steinbeck, les narrateurs nous présentent des mères de
famille dans leurs dispositions habituelles, en décrivant le bonheur serein d'une
maison où résonne la joie de vivre.
Mais pas toujours, si l'on se souvient de « Poil de
Carotte » (Jules Renard), ou de « Vipère au poing » (Hervé Bazin).
Toutes les
mères n'agissent pas d'une manière conforme à l'usage...
Les enfants non plus,
d'ailleurs.
Dans un roman de petit format intitulé « A copier 100 fois » (2013),
Antoine Dole, narre les mésaventures d'un jeune adolescent qui découvre, intimidé
et terrifié, son homosexualité...
Ce jeune garçon, pareil à bien des adolescents de
son âge, qu'on pourrait croiser dans n'importe quelle cour de récréation, n'a rien
d'exceptionnel.
Malheureusement pour lui, confronté à la hargne homophobe de ses
camarades de classe, il est la victime d'une société irriguée par la violence et
gangrénée par les préjugés.
Ce roman de poche agit sur notre sensibilité avec la
force d'un coup de poing dans l'estomac, sans dolorisme et sans voyeurisme.
Le livre
à peine posé, on se dit alors que peut-être les romans à la guimauve ont leur raison
d'être aussi...
Conclusion
Qu'est-ce qui est franchement ordinaire ou tout à fait extraordinaire ? La banalité
tout comme l'originalité peut avoir un air d'étrangeté et réveiller le lecteur.
En
définitive, le romancier est un touche-à-tout.
A grands coups de rame, le romancier
nous embarque dans son univers où les personnages, solaires ou crépusculaires,
sont magnifiés, sanctifiés, ou au contraire ridiculisés, guignolisés.
Peu importe
l'épithète accolé au personnage, d'ailleurs.
Que la figuration soit réaliste ou imaginée.
Après tout, comme disait le grand Boileau, « le vrai peut quelquefois n'être pas
vraisemblable » !
En ce qui concerne la beauté littéraire, c'est peut-être Flaubert qui nous donne la
solution : « Pour qu'une chose soit intéressante, il suffit de la regarder
longtemps...
».
Ce qui vaut pour cet être de chair que représente le personnage de
tout roman..
»
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