Emile Faguet estime que Les Essais sont à la fois « un livre pour les hommes du temps de Montaigne» et «un livre pour tous les temps». En vous aidant des pages des Essais que vous connaissez, vous préciserez le sens de ces deux formules, et, compte tenu du jugement que vous portez vous-même sur l'oeuvre de Montaigne, vous direz celle qui vous parait la plus pertinente.
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«LES ESSAIS» DE MONTAIGNE, UN LIVRE POUR TOUS LES TEMPS
Emile Faguet estime que Les Essais sont à la fois « un livre pour les hommes du temps de Montaigne» et «un livre
pour tous les temps».
En vous aidant des pages des Essais que vous connaissez, vous préciserez le sens de ces
deux formules, et, compte tenu du jugement que vous portez vous-même sur l'œuvre de Montaigne, vous direz celle
qui vous parait la plus pertinente.
DISSERTATION RÉDIGÉE
Montaigne est un homme du xvie siècle.
Comme Rabelais, c'est un humaniste.
Il est considéré comme penseur plutôt
que comme philosophe, en ce sens qu'il n'a pas établi un système précis, mais que ses idées dérivent de plusieurs
doctrines dans lesquelles il a tiré ce qui lui paraissait être le meilleur.
Ce sont les périodes très diverses qu'il a
traversées qui l'influenceront et le feront réfléchir sur des problèmes, nés de ses propres expériences.
Le titre de
son œuvre lui-même en révèle la « substantifique moelle ».
« Essais » ne veut dire autre chose que « Expériences »
et leçons tirées de ces expériences.
Ses expériences sont si variées que l'on touche tous les problèmes.
Et Emile Faguet estime que Les Essais sont à la
fois « un livre pour les hommes du temps de Montaigne » et « un livre pour tous les temps »...
Les deux formules
semblent en désaccord mais en réalité il semble que l'une englobe l'autre.
Son œuvre est unique, un seul livre, et pleine de diversité.
Il est difficile de croire que c'est le même Montaigne dans
« l'art poétique » où se révèle un style vif, si scintillant et si allègre, et où l'auteur rit du lecteur qui perd le fil de
son idée que dans « Montaigne s'apprivoise à la mort » où, après son grave accident, il analyse avec minutie tous
ses sentiments, et ce qu'il a ressenti dans cet état de torpeur et de demi-coma ; si « l'art poétique » semble être
un sujet anodin, celui de la mort est plus grave, et fait réfléchir les hommes, qui, de quelque époque soient-ils, se
sont inquiétés de leur destinée.
.Montaigne répond à ce problème par une solution dénuée de tout stoïcisme : la
meilleure façon de s'habituer à l'idée de la mort est d'y penser souvent.
D'ailleurs, lui, qui a été pendant quelques
jours si près de la mort, se rend compte que cet état est loin d'être désagréable.
Combien est douce cette torpeur !
Mais voilà l'exemple d'un problème qui répond aux deux idées d'E.
Faguet : un problème de tous les temps, mais
spécialement pour les « hommes du temps de Montaigne » qui vivaient une période assez troublée : celle des
guerres de religion.
Son portrait est la note pittoresque du début des Essais : « C'est moi que je peins...
» il se
présente comme un homme simple avec qualités et défauts, « maladroit à la paume », « ayant des mains si grandes
» qu'il ne peut tailler une plume lui-même...
; ce début est séduisant, réconfortant, et chacun se cherche des points
communs avec lui.
Le problème de l'éducation est resté d'actualité, mais le système trouvé par Montaigne ne peut
être applicable qu'à un petit groupe d'aristocrates : un maître et un élève comme l'avaient proposé, avant lui,
Rabelais" dans l'éducation de Gargantua, et après lui Rousseau dans l'Emile, ce qui prouve que des hommes de «
tous les temps » s'en sont préoccupés...
Ses idées religieuses et politiques, influencées par son époque, sont
établies sous le signe de la liberté et l'indépendance : c'est une leçon à l'égard des courtisans, car lui a toujours su
rester à l'écart, évitant ainsi les conflits.
De là découlent ses idées de tolérance et il a applaudi à ce succès que
représente pour' lui l'Edit de Nantes.
Idées de tolérance, d'indépendance, de liberté, c'est ce que les hommes ont
toujours cherché à conserver, quel que soit leur temps, mais peut-être spécialement au xvie siècle, à cause des
troubles qui régnaient...
Chez Montaigne, si les situations, les exemples diffèrent, le fond des idées reste très
moderne.
Son texte sur l'amitié demeure néanmoins l'un des plus beaux exemples de l'accord et l'harmonie entre
deux âmes : une amitié avec Etienne de La Boétie, que Montaigne lui-même n'explique pas...
« Parce que c'était lui,
parce que c'était moi...
» Une amitié vraie et enviable.
« Nature est un doux guide...
» résume un art de vivre facile
et heureux : « Quand je dors, je dors, quand je danse, je danse,..
» Y a-t-il quelque chose de plus net et de plus
vrai ?
Montaigne n'a été ni épicurien, ni stoïcien.
Toutefois, il a adopté, puis rejeté ces deux doctrines philosophiques.
Il a
formé sa philosophie personnelle, facile et ouverte à tous les esprits.
Et c'est parce qu'il a un caractère très souple
et un art de vivre simple et pacifique que l'on peut dire que Les Essais n'ont pas d'époque.
Ses idées nous semblent
modernes parce qu'elles sont essentiellement humaines, et applicables par tous « les hommes de tous les temps ».
Et c'est aussi un livre pour les « hommes du temps de Montaigne » parce qu'ils étaient plus directement intéressés
et qu'ils pouvaient méditer sur un point de vue de contemporain.
Les deux formules se fondent aisément en une
seule, car la seconde formule, « un livre pour tous les temps », comprend avant tout et principalement les
contemporains de l'auteur.
Si dans l'œuvre de Montaigne certains points paraissent difficiles à réaliser, tel son système d'éducation, et donnent
des idées politiques et religieuses actuellement dépassées, toute confession par exemple étant tolérée maintenant,
son art de vivre est resté très moderne, tel « l'amitié » ou « Nature est un doux guide », grâce à sa souplesse
d'esprit et surtout à son humanité ; il est avant tout un homme qui met à la portée de tous, dans les siècles
postérieurs aux Essais, un système très humain.
Peut-on penser que Les Essais comptent comme succès d'avoir inspiré Rousseau dans l'éducation (l'Emile), et
Voltaire sur la tolérance (Affaire Calas ou de la Barre), deux des quatre grands philosophes du xviiie siècle ?.
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