Emile NELLIGAN (1879-1941) (Recueil : Premiers poèmes) - C'était l'automne...et les feuilles tombaient toujours
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Emile NELLIGAN (1879-1941) (Recueil : Premiers poèmes) - C'était l'automne...et les feuilles tombaient toujours L'ANGÉLUS sonnait, et l'enfant sur sa couche de douleur souffrait d'atroces maux ; il avait à peine quinze ans, et les froids autans contribuaient beaucoup à empirer son mal. Mais pourtant sa mère qui se lamentait au pied du lit, l'attristait encore plus profondément et augmentait en quelque sorte sa douleur. Soudain, joignant ses mains pâles en une céleste supplication, et portant sur le crucifix noir de la chambre ses yeux presque éteints, il fit une humble et douce prière qui monta vers Dieu comme un parfum langoureux. Et dehors, dans la nuit froide, les faibles coups de la cloche de la petite église voisine montaient tristement, elle semblait tinter d'avance le glas funèbre du jeune malade. La chaumière, perdue au fond de la campagne, était ombragée par de hauts peupliers qui lui voilaient le lointain. De belles montagnes bleues une à une se déroulaient là-bas, mais elles paraissaient maintenant plutôt noires, car les horizons s'assombrissaient de plus en plus. Les oiseaux dans les bocages ne chantaient plus, et toutes ces jolies fauvettes qui avaient égayé le printemps et l'été s'étaient envolées vers des parages inconnus. Les feuilles tombent et la brise d'automne gémit dans la ramure ; il fait sombre dehors ; mais ces tristesses de la nature, ces gémissements prolongés du vent, ne sont que les faibles échos de cette immense douleur qui veille au chevet du malade que Dieu redemande à la mère... Onze heures sonnent à la vieille horloge de la chaumière ; l'enfant vient de faire un mouvement qui appelle encore plus près de lui celle qui lui a prodigué ses soins pendant tant de jours et pendant tant de nuits. Elle approche, défaillante, et écoute attentivement les paroles que le mourant lui murmure faiblement à l'oreille : "Mère,... dit-il, je m'en vais... mais je ne t'oublierai pas là... haut... où... j'espère... de te... retrouver un jour... ne pleure pas... approche encore une dernière fois le crucifix de mes lèvres... car je n'ai plus que quelques instants à vivre... adieu, mère chérie... tu sais la place où je m'asseyais l'été dernier... sous le grand chêne... eh bien ! c'est là... que je désire... qu'on... m'enterre... Mère adieu, prends courage... " La mère ne pleure pas ; comme Marie au pied du calvaire elle embrasse sa croix,... souffre... et fait généreusement son sacrifice... Cependant les feuilles tombent, tombent toujours ; le sol est jonché de ces présages à la fois tristes et lugubres ; dans la chaumière le silence est solennel, la lampe jette dans l'appartement mortuaire une lueur funèbre qui se projette sur la figure blanche du cadavre à peine froid, la vitre est toute mouillée des embruns de la nuit, et la brise plaintive continue à pleurer dans les clairières. La jeunesse hélas ! du jeune malade s'est évanouie comme la fleur des champs qui se meurt, faute de pluie, sous les ardents rayons d'un soleil lumineux. Que la nature, les bois, les arbres, la vallée paraissaient tristes ce jour-là, car c'était l'automne... et les feuilles tombaient toujours.
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