Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : La multiple splendeur) - Le monde
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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : La multiple splendeur) - Le monde Le monde est fait avec des astres et des hommes. Là-haut, Depuis quels temps à tout jamais silencieux, Là-haut, En quels jardins profonds et violents des cieux, Là-haut, Autour de quels soleils, Pareils à des ruches de feux, Tourne, dans la splendeur de l'espace énergique, L'essaim myriadaire et merveilleux Des planètes tragiques ? Tel astre, on ne sait quand, leur a donné l'essor Ainsi qu'à des abeilles ; Et les voici, volant parmi les fleurs, les treilles Et les jardins de l'éther d'or ; Et voici que chacune, en sa ronde éternelle, Qui s'éclaire la nuit, qui se voile le jour, Va, s'éloigne, revient, mais gravite toujours, Autour de son étoile maternelle. ô ce tournoiement fou de lumières ardentes ! Ce grand silence blanc et cet ordre total Présidant à la course effrénée et grondante Des orbes d'or, autour de leur brasier natal ; Et ce pullulement logique et monstrueux ; Et ces feuilles de flamme, et ces buissons de feux Poussant toujours plus loin, grimpant toujours plus haut, Naissant, mourant, ou se multipliant eux-mêmes Et s'éclairant et se brûlant entre eux, Ainsi que les joyaux D'un insondable étagement de diadèmes. La terre est un éclat de diamant tombé, On ne sait quand, jadis, des couronnes du ciel. Le froid torpide et lent, l'air humide et plombé Ont apaisé son feu brusque et torrentiel ; Les eaux des océans ont blêmi sa surface ; Les monts ont soulevé leur échine de glaces ; Les bois ont tressailli, du sol jusques au faîte, D'un rut ou d'un combat rouge et noueux de bêtes ; Les désastres croulant des levants aux ponants Ont tour à tour fait ou défait les continents ; Là-bas où le cyclone en ses colères bout, Les caps se sont dressés sur le flot âpre et fou ; L'effort universel des heurts, des chocs, des chutes, En sa folie énorme a peu à peu décru Et lentement, après mille ans d'ombre et de lutte, L'homme, dans le miroir de l'univers, s'est apparu. Il fut le maître Qui, tout à coup, Avec son torse droit, avec son front debout, S'affirmait tel-et s'isolait de ses ancêtres. Et la terre, avec ses jours, avec ses nuits, Immensément, à l'infini, De l'est à l'ouest s'étendit devant lui ; Et les premiers envols des premières pensées Du fond d'une cervelle humaine Et souveraine Eut lieu sous le soleil. Les pensées ! Ô leurs essors fougueux, leurs flammes dispersées, Leur rouge acharnement ou leur accord vermeil ! Comme là-haut les étoiles criblaient la nue Elles se constellaient sur la plaine inconnue ; Elles roulaient dans l'espace, telles des feux, Gravissaient la montagne, illuminaient le fleuve Et jetaient leur parure universelle et neuve De mer en mer, sur les pays silencieux. Mais pour qu'enfin s'établît l'harmonie Au sein de leurs tumultes d'or Comme là-haut toujours, comme là-haut encor, Pareils A des soleils, Apparurent et s'exaltèrent, Parmi les races de la terre, Les génies. Avec des coeurs de flamme et des lèvres de miel, Ils disaient simplement le verbe essentiel, Et tous les vols épars dans la nuit angoissée Se rabattaient vers la ruche de leur pensée. Autour d'eux gravitaient les flux et les remous De la recherche ardente et des problèmes fous ; L'ombre fut attentive à leur brusque lumière ; Un tressaillement neuf parcourut la matière ; Les eaux, les bois, les monts se sentirent légers Sous les souffles marins, sous les vents bocagers ; Les flots semblaient danser et s'envoler les branches, Les rocs vibraient sous les baisers de sources blanches, Tout se renouvelait jusqu'en ses profondeurs : Le vrai, le bien, l'amour, la beauté, la laideur. Des liens subtils faits de fluides et d'étincelles Composaient le tissu d'une âme universelle Et l'étendue où se croisaient tous ces aimants Vécut enfin, d'après la loi qui règne aux firmaments. Le monde est fait avec des astres et des hommes.
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