Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les campagnes hallucinées) - Les plaines
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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les campagnes hallucinées) - Les plaines Sous la tristesse et l'angoisse des cieux Les lieues S'en vont autour des plaines ; Sous les cieux bas Dont les nuages traînent Immensément, les lieues Se succèdent, là-bas. Droites sur des chaumes, les tours ; Et des gens las, par tas, Qui vont de bourg en bourg: Les gens vaguants Comme la route, ils ont cent ans ; Ils vont de plaine en plaine, Depuis toujours, à travers temps. Les précèdent ou bien les suivent Les charrettes dont les convois dérivent Vers les hameaux et les venelles, Les charrettes perpétuelles, Grinçant le lamentable cri, Le jour, la nuit, De leurs essieux vers l'infini. C'est la plaine, la plaine. Immensément, à perdre haleine. De pauvres clos ourlés de haies Ecartèlent leur sol couvert de plaies ; De pauvres clos, de pauvres fermes, Les portes lâches Et les chaumes, comme des bâches, Que le vent troue à coups de hache. Aux alentours, ni trèfle vert, ni luzerne rougie, Ni lin, ni blé, ni frondaisons, ni germes ; Depuis longtemps, l'arbre, par la foudre cassé, Monte, devant le seuil usé, Comme un malheur en effigie. C'est la plaine, la plaine blême, Interminablement, toujours la même. Par au-dessus, souvent, Rage si fort le vent Que l'on dirait le ciel fendu Aux coups de boxe De l'équinoxe. Novembre hurle, ainsi qu'un loup Au coin des bois, par le soir fou. Les ramilles et les feuilles gelées Passent giflées Sur les mares, dans les allées ; Et les grands bras des Christs funèbres, Aux carrefours, dans les ténèbres, Semblent grandir et tout à coup partir, En cris de peur, vers le soleil perdu. C'est la plaine, la plaine Où ne vague que crainte et peine. Les rivières stagnent ou sont taries, Les flots n'arrivent plus jusqu'aux prairies, Les énormes digues de tourbe, Inutiles, tracent leur courbe ; Comme le sol, les eaux sont mortes ; Parmi les îles, en escortes Vers la mer, où les anses encor se mirent, Les haches et les marteaux voraces Dépècent les carcasses Lamentables des vieux navires. C'est la plaine, la plaine Sinistrement, à perdre haleine, C'est la plaine et sa démence Que sillonnent des vols immenses De cormorans criant la mort A travers l'ombre et la brume des Nords ; C'est la plaine, la plaine Mate et longue comme la haine, La plaine et le pays sans fin Où le soleil est blanc comme la faim, Où pourrit aux tournants du fleuve solitaire, Dans la vase, le coeur antique de la terre.
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