Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les flambeaux noirs) - La dame en noir
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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les flambeaux noirs) - La dame en noir - Dans la ville d'ébène et d'or, Sombre dame des carrefours, Qu'attendre, après tant de jours, Qu'attendre encor ? - Les chiens du noir espoir ont aboyé, ce soir, Vers les lunes de mes deux yeux, Si longuement, vers mes deux yeux silencieux, Si longuement et si terriblement, ce soir, Vers les lunes de mes deux yeux en noir. Dites, quels feux agitent-ils mes crins, Pour affoler ainsi ces chiens, Et quelle ardeur règne en mes reins Et dans mon corps toisonné d'or ? - Sombre dame des carrefours, Qu'attendre, après de si longs jours, Qu'aittendre ? - Vers quel paradis noir font-ils voile mes seins, Et vers quels horizons ameutés de tocsins ? Dites, quel Walhalla tumultueux de fièvres Ou quels chevaux cabrés vers l'amour sont mes lèvres ? Dites, quel incendie et quel effroi Suis-je ? pour ces grands chiens, qui me lèchent ma rage, Et quel naufrage espèrent-il en mon orage Pour tant chercher leur mort en moi ? - Sombre dame des carrefours, Qu'attendre après de si longs jours ? - Mes yeux, comme des pierres d'or, Luisent pendant les nuits charnelles : Je suis belle comme la mort Et suis publique aussi comme elle. Aux douloureux traceurs d'éclairs Et de désirs sur mes murailles, J'offre le catafalque de mes chairs Et les cierges des funérailles. Je leur donne tout mon remords Pour les soûler au seuil du porche, Et le blasphème de mon corps Brandi vers Dieu comme une torche. Ils me savent comme une tour De fer et de siècles vêtue, Et s'exècrent en mon amour Qui les affole et qui les tue. Ce qu'ils aiment - coeur saccagé, Esprit dément, âme incertaine C'est le dégoût surtout que j'ai De leurs baisers ou de leur haine. C'est de trouver encore en moi Leur pourpre et noire parélie Et mon drapeau de rouge effroi Echevelé dans leur folie. - Sombre dame des carrefours, Qu'attendre, après de si longs jours, Qu'attendre ? - A cette heure de vieux soleil chargé de soir Qui se projette en éclats d'or sur le trottoir, Quand la ville s'allonge en un serpentement De feux et de chemins, vers cet aimant Toujours debout à l'horizon : la femme, Les chiens du désespoir Ont aboyé vers les yeux de mon âme, Si longuement vers mes deux yeux, Si longuement et si lointainement, ce soir, Vers les lunes de mes deux yeux en noir ! Dites, quel brûlement et quelle ardeur mes crins Font-ils courir au long de mon corps d'or ? Et de quelle fureur s'animent-ils mes reins, Devant les yeux hallucinés des chiens ? Et moi aussi, dites, quel Walhalla de fièvres Vient à mon tour m'incendier les lèvres Et vers quels horizons ameutés de tocsins Et quels paradis noirs font-ils voile, mes seins ? Dites, quel appel et quel effroi Viennent ce soir me chasser hors de moi, Sur les places, dans les villes, Reine foudroyante et servile ? - Sombre dame des carrefours, Qu'attendre, après de si longs jours, Qu'attendre ? - Hélas ! quand viendra-t-il, celui Qui doit venir - peut-être aujourd'hui - Qui doit venir vers mon attente Fatalement, et qui viendra ? La démence incurable et tourmentante, Qui donc en lui la sentira Monter jusqu'à mes seins qui hallucinent ? Vers les deux mains de ceux qui assassinent Mon corps se dresse ardent et blême ; Je suis celle qui ne craint rien Et dont personne ne s'abstient : Je suis tentatrice suprême. Dites ? Qui donc doit me vouloir, ce soir, au fond d'un bouge ? - Sombre dame des carrefours, Qu'attendre après de si longs jours, Qu'attendre ? - J'attends tel homme an couteau rouge.
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