Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les flambeaux noirs) - Les nombres
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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les flambeaux noirs) - Les nombres Je suis l'halluciné de la forêt des Nombres, Le front fendu, d'avoir buté, Obstinément, contre leur fixité. Arbres roides dans le sol clair Et ramures en sillages d'éclair Et fûts comme un faisceau de lances Et rocs symétriques dans l'air, Blocs de peur et de silence. Là-haut, le million épars des diamants Et les regards, aux firmaments, Myriadaires des étoiles ; Et des voiles après des voiles, Autour de l'Isis d'or qui rêve aux firmaments. Je suis l'halluciné de la forêt des Nombres. Ils me fixent, avec leurs yeux de leurs problèmes ; Ils sont, pour éternellement rester : les mêmes. Primordiaux et définis, Ils tiennent le monde entre leurs infinis ; Ils expliquent le fond et l'essence des choses, Puisqu'à travers les temps planent leurs causes. Je suis l'halluciné de la forêt des Nombres. Mes yeux ouverts ? - dites leurs prodiges ! Mes yeux fermés ? - dites leurs vertiges ! Voici leur marche rotatoire Cercle après cercle, en ma mémoire, Je suis l'immensément perdu, Le front vrillé, le coeur tordu, Les bras battants, les yeux hagards, Dans les hasards des cauchemars. Je suis l'halluciné de la forêt des Nombres. Textes de quelles lois infiniment lointaines ? Restes de quels géométriques univers ? Havres, d'où sont partis, par des routes certaines, Ceux qui pourtant se sont perdus de mer en mer ? Regards abstraits, lobes vides et sans paupières, Clous dans du fer, lames en pointe entre des pierres ? Je suis l'halluciné de la forêt des Nombres ! Mon cerveau triste, au bord des livres, S'est épuisé, de tout son sang, Dans leur trou d'ombre éblouissant ; Devant mes yeux, les textes ivres S'entremêlent, serpents tordus ; Mes poings sont las d'être tendus, Par au travers de mes nuits sombres, Avec, au bout, le poids des nombres, Avec, toujours, la lassitude De leurs barres de certitude. Je suis l'halluciné de la forêt des Nombres. Dites ! Jusques à quand, là-haut, Le million épars des diamants Et les regards, aux firmaments Myriadaires, des étoiles, Et ces voiles après ces voiles, Autour de l'Isis d'or qui rêve aux firmaments ?
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