Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les flammes hautes) - La vie ardente
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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les flammes hautes) - La vie ardente Mon coeur, Je l'ai rempli du beau tumulte humain : Tout ce qui fut vivant et haletant sur terre, Folle audace, volonté sourde, ardeur austère Et la révolte d'hier et l'ordre de demain N'ont point pour les juger refroidi ma pensée. Sombres charbons, j'ai fait de vous un grand feu d'or, N'exaltant que sa flamme et son volant essor Qui mêlaient leur splendeur à la vie angoissée. Et vous, haines, vertus, vices, rages, désirs, je vous accueillis tous, avec tous vos contrastes, Afin que fût plus long, plus complexe et plus vaste Le merveilleux frisson qui me fit tressaillir. Mon coeur à moi ne vit dûment que s'il s'efforce ; L'humanité totale a besoin d'un tourment Qui la travaille avec fureur, comme un ferment, Pour élargir sa vie et soulever sa force. Qu'importe, si l'on part, qu'on n'arrive jamais, Et que l'on voie au loin se déplacer les cimes ! L'orgueil est de monter toujours vers un sommet Tenant la peur de soi pour le plus vil des crimes ; Celui qui choit s'est rehaussé, quand même, un jour, S'il a senti l'enivrement de la mêlée L'exalter à tel point dans la haine ou l'amour, Que sa force soudaine en parut décuplée Et puis toucher, goûter, sentir, entendre et voir ; Ouvrir les yeux pour regarder l'aube ou le soir Dorer un horizon ou rosir un nuage ; Marcher près de la mer et chanter sur la plage ; Ecouter le vent fou danser sur la forêt Comme sur un brasier de flammes végétales ; Recueillir un parfum dans un flot de pétales ; Sucer le jus d'un fruit intarissable et frais ; Ou bien vouer des mains aux caresses profondes, Le soir, quand, sur sa couche amoureuse, la chair S'illumine du large éclat de ses seins clairs ; Dites ! N'y eût-il rien que ces bonheurs au monde Qu'il faut les accueillir pour vivre, éperdument. O muscles que je meus avec emportement ! O rythmes de mon sang qui m'allégez tout l'être Quelle fièvre vous entraînez à votre cours ! Voici que mon cerveau se ranime à son tour Et qu'il cherche et se tend pour découvrir, peut-être, Dans l'univers profond un peu de vérité. Et je tremble et j'exulte à ouïr le mystère Parler comme quelqu'un qui parlerait sous terre, Et le sol bat, et mon coeur rouge et contracté S'écrase sur ce sol pour mieux entendre encore.
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