Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les forces tumultueuses) - Sur la mer
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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les forces tumultueuses) - Sur la mer Larges voiles au vent, ainsi que des louanges, La proue ardente et fière et les haubans vermeils, Le haut navire apparaissait, comme un archange Vibrant d'ailes qui marcherait, dans le soleil. La neige et l'or étincelaient sur sa carène ; Il étonnait le jour naissant, quand il glissait Sur le calme de l'eau prismatique et sereine ; Les mirages, suivant son vol, se déplaçaient. On ne savait de quelle éclatante Norvège Le navire, jadis, avait pris son élan, Ni depuis quand, pareil aux archanges de neige, Il étonnait les flots de son miracle blanc. Mais les marins des mers de cristal et d'étoiles Contaient son aventure avec de tels serments, Que nul n'osait nier qu'on avait vu ses voiles, Depuis toujours, joindre la mer aux firmaments. Sa fuite au loin ou sa présence vagabonde Hallucinant les caps et les îles du Nord Et le futur des temps et le passé du monde Passaient, devant les yeux, quand on narrait son sort. Au temps des rocs sacrés et des croyances frustes, Il avait apporté la légende et les dieux, Dans les tabliers d'or de ses voiles robustes Gonflés d'espace immense et de vent radieux. Les apôtres chrétiens avaient nimbé de gloire Son voyage soudain, vers le pays du gel, Quand s'avançait, de promontoire en promontoire, Leur culte jeune à la conquête des autels. Les pensers de la Grèce et les ardeurs de Rome, Pour se répandre au coeur des peuples d'Occident, S'étaient mêlés, ainsi que des grappes d'automne, A son large espalier de cordages ardents. Et quand sur l'univers plana quatre-vingt-treize Livide et merveilleux de foudre et de combats, Le vol du temps frôla de ses ailes de braise L'orgueil des pavillons et l'audace des mâts. Ainsi, de siècle en siècle, au cours fougueux des âges, Il emplissait d'espoir les horizons amers, Changeant ses pavillons, changeant ses équipages, Mais éternel dans son voyage autour des mers. Et maintenant sa hantise domine encore, Comme un faisceau tressé de magiques lueurs, Les yeux et les esprits qui regardent l'aurore Pour y chercher le nouveau feu des jours meilleurs. Il vogue ayant à bord les prémices fragiles, Ce que seront la vie et son éclair, demain, Ce qu'on a pris non plus au fond des Evangiles, Mais dans l'instinct mieux défini de l'être humain. Ce qu'est l'ordre futur et la bonté logique, Et la nécessité claire, force de tous, Ce qu'élabore et veut l'humanité tragique Est oscillant déjà dans l'or de ses remous. Il passe, en un grand bruit de joie et de louanges, Frôlant les quais à l'aube ou les môles le soir Et pour ses pieds vibrants et lumineux d'archange, L'immense flux des mers s'érige en reposoir. Et c'est les mains du vent et les bras des marées Qui d'eux-mêmes, un jour, en nos havres de paix Pousseront le navire aux voiles effarées Qui nous hanta toujours, mais n'aborda jamais.
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