Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les moines) - Moine épique
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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les moines) - Moine épique On eût dit qu'il sortait d'un désert de sommeil, Où, face à face, avec les gloires du soleil, Sur les pitons brûlés et les rochers austères, S'endorts la majesté des lions solitaires. Ce moine était géant, sauvage et solennel, Son corps semblait bâti pour un oeuvre éternel, Son visage, planté de poils et de cheveux, Dardait tout l'infini par les trous de ses yeux ; Quatre-vingts ans chargeaient ses épaules tannées Et son pas sonnait ferme à travers les années ; Son dos monumental se carrait dans son froc, Avec les angles lourds et farouches d'un roc ; Ses pieds semblaient broyer des choses abattues Et ses mains ébranler des socles de statues, Comme si le Christ-Dieu l'eût forgé tout en fer, Pour écraser sous lui les rages de l'enfer. * C'était un homme épris des époques d'épée, Où l'on jetait sa vie aux vers de l'épopée, Qui dans ce siècle flasque et dans ce temps bâtard, Apôtre épouvantant et noir, venait trop tard, Qui n'avait pu, selon l'abaissement, décroître, Et même était trop grand pour tenir dans un cloître, Et se noyer le coeur dans le marais d'ennui Et la banalité des règles d'aujourd'hui. * Il lui fallait le feu des grands sites sauvages, Les rocs violentés par de sombres ravages, Le ciel torride et le désert et l'air des monts, Et les tentations en rut des vieux démons Agaçant de leurs doigts la chair en fleur des gouges Et lui brûlant la lèvre avec des grands seins rouges, Et lui bouchant les yeux avec des corps vermeils, Comme les eaux des lacs avec l'or des soleils. * On se l'imaginait, au fond des solitudes, Marmorisé dans la raideur des attitudes, L'esprit durci, le coeur blême de chasteté, Et seul, et seul toujours avec l'immensité. On le voyait marcher au long des mers sonnantes, Au long des bois rêveurs et des mares stagnantes, Avec des gestes fous de voyant surhumain, Et s'en venir ainsi vers le monde romain, N'ayant rien qu'une croix taillée au coeur des chênes, Mais la bouche clamant les ruines prochaines, Mais fixes les regards, mais énormes les yeux, Barbare illuminé qui vient tuer les dieux.
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