Devoir de Français

Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les villes tentaculaires) - La mort

Extrait du document

Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Les villes tentaculaires) - La mort Avec ses larges corbillards Ornés de plumes majuscules, Par les matins, dans les brouillards, La mort circule. Parée et noire et opulente, Tambours voilés, musiques lentes, Avec ses larges corbillards, Flanqués de quatre lampadaires, La Mort s'étale et s'exagère. Pareils aux nocturnes trésors, Les gros cercueils écussonnés - Larmes d'argent et blasons d'or - Ecoutent l'heure éclatante des glas Que les cloches jettent, là-bas : L'heure qui tombe, avec des bonds Et des sanglots, sur les maisons, L'heure qui meurt sur les demeures, Avec des bonds et des sanglots de plomb. Parée et noire et opulente, Au cri des orgues violentes Qui la célèbrent, La mort tout en ténèbres Règne, comme une idole assise, Sous la coupole des églises. Des feux, tordus comme des hydres, Se hérissent, autour du catafalque immense OÙ des anges, tenant des faulx et des cleps Dressent leur véhémence, Clairons dardés, vers le néant. Le vide en est grandi sous le transept béan De hautes voix d'enfants jettent vers les miséricordes Des cris tordus comme des cordes, Tandis que les vieilles murailles Montent, comme des linceuls blancs, Autour du bloc formidable et branlant De ces massives funérailles. Drapée en noir et familière, La Mort s'en va le long des rues Longues et linéaires. Drapée en noir, comme le soir, La vieille Mort agressive et bourrue S'en va par les quartiers Des boutiques et des métiers, En carrosse qui se rehausse De gros lambris exorbitants, Couleur d'usure et d'ancien temps. Drapée en noir, la Mort Cassant, entre ses mains, le sort Des gens méticuleux et réfléchis Qui s'exténuent, en leurs logis, Vainement, à faire fortune, La Mort soudaine et importune Les met en ordre dans leurs bières Comme en des cases régulières'. Et les cloches sonnent péniblement Un malheureux enterrement, Sur le défunt, que l'on trimballe, Par les églises colossales, Vers un coin d'ombre, où quelques cierg Pauvres flammes, brÛlent, devant la Vieri Vêtue en noir et besogneuse, La Mort gagne jusqu'aux faubourgs, En chariot branlant et lourd, Avec de vieilles haridelles Qu'elle flagelle Chaque matin, vers quels destins ? Vêtue en noir, La Mort enjambe le trottoir Et l'égout pâle, où se mirent les bornes, Qui vont là-bas, une à une, vers les champs mornes; Et leste et rude et dédaigneuse Gagne les escaliers et s'arrête sur les paliers OÙ l'on entend pleurer et sangloter, Derrière la porte entr'ouverte, Des gens laissant l'espoir tomber, Inerte. Et dans la pluie indéfinie, Une petite église de banlieue, Très maigrement, tinte un adieu, Sur la bière de sapin blanc Qui se rapproche, avec des gens dolents, Par les routes, silencieusement. Telle la Mort journalière et logique Qui fait son ceuvre et la marque de croix Et d'adieux mornes et de voix Criant vers l'inconnu les espoirs liturgiques. Mais d'autres fois, c'est la Mort grande et sa Avec son aile au loin ramante, Vers les villes de l'épouvante. Un ciel étrange et roux brûle la terre moite Des tours noires s'étirent droites Telles des bras, dans la terreur des cré Les nuits tombent comme épaissies, Les nuits lourdes, les nuits moisies, OÙ, dans l'air gras et la chaleur rancie, Tombereaux pleins, la Mort circule. Ample et géante comme l'ombre, Du haut en bas des maisons sombres, On l'écoute glisser, rapide et haletante. La peur du jour qui vient, la peur de toute attente, La peur de tout instant qui se décoche, Persécute les coeurs, partout, Et redresse, soudain, en leur sueur, debout Ceux qui, vers le minuit, songent au matin Les hôpitaux gonflés de maladies, Avec les yeux fiévreux de leurs fenêtres roug Regardent le ciel trouble, oÙ rien ne bouge Ni ne répond aux détresses grandies. Les égouts roulent le poison Et les acides et les chlores, Couleur de nacre et de phosphore, Vainement tuent sa floraison. De gros bourdons résonnent Pour tout le monde, pour personne Les églises barricadent leur seuil, Devant la masse des cercueils. Et l'on entend, en galops éperdus, La mort passer et les bières que l'on transporte Aux nécropoles, dont les portes, Ni nuit ni jour, ne ferment plus. Tragique et noire et légendaire, Les pieds gluants, les gestes fous, La Mort balaie en un grand trou La ville entière au cimetière.

Liens utiles