Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Toute la Flandre) - Les plages
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Émile VERHAEREN (1855-1916) (Recueil : Toute la Flandre) - Les plages Plages vides, avec toujours les mêmes flots Poussant les mêmes cris et les mêmes sanglots De l'un à l'autre bout des rivages de Flandre ; Dunes d'oyats aigus, monts de sable et de cendre, Pays hostile et dur et féroce souvent, Pays de lutte et de ferveur, pays de vent, Pays d'épreuve et d'angoisse, pays de rage, Quand s'acharnent sur vous les tournoyants orages Et leurs vagues d'hiver dressant toujours plus haut Sous les brouillards leurs funèbres monuments d'eau, Soyez remerciés d'être tels que vous êtes, Tels que la mort, tels que la vie et ses tempêtes ! C'est grâce à vous qu'ils sont fermes et durs, les gars, Qu'ils sont têtus dans le travail et dans la peine, Qu'ils font, sans le savoir, belle, la race humaine Qui marche à larges pas vers le péril hagard Avec le seul désir de vaincre un destin morne. C'est vous qui faites l'homme ardent, calme, hautain, Entre le danger d'hier et celui de demain, Quand le sombre équinoxe et ses ouragans cornent C'est grâce à vous que les filles aiment dûment, Malgré la crainte au coeur d'être trop tôt des veuves, Ceux qui s'en vont, sans se plaindre, dans l'âpre épreuve, Gagner le pain des jours, avec acharnement ; Et que toutes, à l'heure où les rudes tendresses Mêlent les chairs, au fond des chaumières, là-bas, Servent le franc repas d'amour aux hommes las De la brume sournoise et des houles traîtresses. Pays des vents de l'Ouest et des bises du Nord, Souffles chargés de sel et pénétrés d'iode, Vous imprégnez les corps rugueux de santé chaude Et vous armez de père en fils les peuples forts, Pour qu'ils marquent de leur vouloir autoritaire Le coin triste mais doux que leur offrit la terre. Et qu'importe, qu'au long des flots, la ville, un jour, Ait bâti ses maisons, ses dômes et ses tours Et ses palais pareils à des rêves de pierre. Filles et gars de Flandre, oh ! seuls, vous resterez D'accord avec l'embrun et les grands vents Et la rauque marée et ses vagues guerrières Vous êtes ceux du sol qu'on ne refoule pas, La mer a mis en vous sa force et sa folie, Vos yeux sont beaux et sa clarté froide et pâlie Et son rythme puissant et lourd pèse en vos pas. Même certains de vous, les plus hardiment braves, Charrient encor le sang des aïeux scandinaves Dans leurs gestes épars au loin, sur l'océan. Ils conservent en eux l'ardeur de ces géants Qui partaient vers la mort sur leurs vaisseaux en flammes, Sans focs, sans matelots, sans boussole, sans rames, Et se couchaient, à l'heure où le soir est vermeil, Ivres, dans un tombeau de flots et de soleil.
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