Émile Zola, L'Assommoir, chapitre VIII. (La demande en mariage)
Extrait du document
Émile Zola, L'Assommoir, chapitre VIII. (La demande en mariage)
"Oui, je vous veux, répétait-il, en tapant son poing sur son genou d'un martèlement continu. Vous entendez bien, je vous veux... Il n'y a rien à dire à ça, je pense ?"
Gervaise, peu à peu, s'attendrissait. Une lâcheté du coeur et des sens la prenait, au milieu de ce désir brutal dont elle se sentait enveloppée. Elle ne hasardait plus que des objections timides, les mains tombées sur ses jupes, la face noyée de douceur. Du dehors, par la fenêtre entrouverte, la belle nuit de juin envoyait des souffles chauds, qui effaraient la chandelle, dont la haute mèche rougeâtre charbonnait ; dans le grand silence du quartier endormi, on entendait seulement les sanglots d'enfant d'un ivrogne, couché sur le dos, au milieu du boulevard ; tandis que, très loin, au fond de quelque restaurant, un violon jouait un quadrille canaille à quelque noce attardée, une petite musique cristalline, nette et déliée comme une phrase d'harmonica. Coupeau, voyant la jeune femme à bout d'arguments, silencieuse et vaguement souriante, avait saisi ses mains, l'attirait vers lui. Elle était dans une de ces heures d'abandon dont elle se méfiait tant, gagnée, trop émue pour rien refuser et faire de la peine à quelqu'un. Mais le zingueur ne comprit pas qu'elle se donnait ; il se contenta de lui serrer les poignets à les broyer, pour prendre possession d'elle ; et ils eurent tous les deux un soupir, à cette légère douleur, dans laquelle se satisfaisait un peu de leur tendresse.
"Vous dites oui, n'est-ce pas ? demanda-t-il ?
- Comme vous me tourmentez ! murmura-t-elle. Vous le voulez ? eh bien, oui... Mon Dieu, nous faisons là une grande folie, peut-être."
Il s'était levé, l'avait empoigné par la taille, lui appliquait un rude baiser sur la figure, au hasard. Puis, comme cette caresse faisait un gros bruit, il s'inquiéta le premier, regardant Claude et Etienne, marchant à pas de loup, baissant la voix.
"Chut ! soyons sages, dit-il, il ne faut pas réveiller les gosses... À demain."
Et il remonta à sa chambre. Gervaise, toute tremblante, resta près d'une heure assise au bord de son lit, sans songer à se déshabiller. Elle était touchée, elle trouvait Coupeau très honnête ; car elle avait bien cru un moment que c'était fini, qu'il allait coucher là. L'ivrogne, en bas, sous la fenêtre, avait une plainte plus rauque de bête perdue. Au loin, le violon à la ronde canaille se taisait.
Liens utiles
- Émile Zola, L'Assommoir, chapitre VIII. (Le roussin)
- Émile Zola, L'Assommoir, chapitre VIII. (Les camaros)
- Émile Zola, L'Assommoir, chapitre V.
- Émile Zola, L'Assommoir, chapitre V.
- Émile Zola, L'Assommoir, chapitre VII.