Émile Zola, L'Assommoir, chapitre XIII.
Extrait du document
Émile Zola, L'Assommoir, chapitre XIII.
Le médecin venait de se relever et écoutait Coupeau, qui maintenant voyait de nouveau des fantômes en plein midi. Est-ce qu'il ne croyait pas apercevoir sur les murs des toiles d'araignées grandes comme des voiles de bateau ! Puis ces toiles devenaient des filets avec des mailles qui se rétrécissaient et s'allongeaient, un drôle de joujou ! Des boules noires voyageaient dans les mailles, de vraies boules d'escamoteur, d'abord grosses comme des billes, puis grosses comme des boulets ; et elles enflaient, et elles maigrissaient, histoire simplement de l'embêter. Tout d'un coup, il cria :
"Oh ! les rats, v'là les rats, à cette heure." C'étaient les boules qui devenaient des rats. Ces sales animaux grossissaient, passaient à travers le filet, sautaient sur le matelas, où ils s'évaporaient. Il y avait aussi un singe, qui sortait du mur, qui rentrait dans le mur, en s'approchant chaque fois si près de lui, qu'il reculait, de peur d'avoir le nez croqué. Brusquement, ça changea encore ; les murs devaient cabrioler, car il répétait, étranglé de terreur et de rage :
"C'est ça, aïe donc ! secouez-moi, je m'en fiche !... Aïe donc la cambuse ! aïe donc ! par terre !... Oui, sonnez les cloches, tas de corbeaux ! jouez de l'orgue pour m'empêcher d'appeler la garde !... Et ils ont mis une machine derrière le mur, ces racailles ! Je l'entends bien, elle ronfle, ils vont nous faire sauter... Au feu ! nom de Dieu ! au feu. On crie au feu ! voilà que ça flambe. Oh ! ça s'éclaire, ça s'éclaire ! tout le ciel brûle, des feux rouges, des feux verts, des feux jaunes... À moi ! au secours ! au feu !"
Ses cris se perdaient dans un râle. Il ne marmottait plus que des mots sans suite, une écume à la bouche, le menton mouillé de salive. Le médecin se frottait le nez avec le doigt, un tic qui lui était sans doute habituel, en face des cas graves. Il se tourna vers l'interne, lui demanda à demi-voix :
"Et la température, toujours quarante degrés, n'est-ce pas ?
- Oui, monsieur."
Le médecin fit une moue. Il demeura encore là, deux minutes, les yeux fixés sur Coupeau. Puis, il haussa les épaules, en ajoutant :
"Le même traitement, bouillon, lait, limonade citrique, extrait mou de quinquina en potion... Ne le quittez pas, et faites-moi appeler."
Il sortît, Gervaise le suivit, pour lui demander s'il n'y avait plus d'espoir. Mais il marchait si raide dans le corridor, qu'elle n'osa pas l'aborder. Elle resta plantée là un instant, hésitant à rentrer voir son homme. La séance lui semblait déjà joliment rude. Comme elle l'entendait crier encore que la limonade sentait l'eau-de-vie, ma foi ! elle fila, ayant assez d'une représentation. Dans les rues, le galop des chevaux et le bruit des voitures lui firent croire que tout Sainte-Anne était à ses trousses. Et ce médecin qui l'avait menacée ! Vrai, elle croyait déjà avoir la maladie.
Liens utiles
- Émile Zola, L'Assommoir, chapitre XIII.
- Émile Zola, L'Assommoir, chapitre XIII.
- Émile Zola, L'Assommoir, chapitre XIII.
- Émile Zola, L'Assommoir, chapitre XIII.
- Émile Zola, L'Assommoir, chapitre XIII.