En quoi cette scène annonce-t-elle un destin tragique de la pièce?, (issue de la pièce de théâtre : « Incendies »)
Publié le 10/06/2023
Extrait du document
«
Introduction
La scène que nous étudions est issue de la pièce de théâtre :
« Incendies », une tragédie écrite en 2003 par Wajdi Mouawad, un
auteur contemporain libano-québécois.
Cet extrait se trouve dans
la première partie : « Incendie de Nawal ».
En effet, après la mort de leur mère Nawal au début de la pièce,
Simon et Jeanne partent sur les traces de leur père qu’ils pensaient
mort et de leur frère dont ils ignoraient l’existence, ce qui les
mènera au Liban, pays d’origine de Nawal.
C’est pourquoi le
cinquième tableau de la pièce, « Ce qui est là », est une scène
capitale : elle correspond à la première apparition de Nawal en
tant qu’adolescente avec son amant, Wahab, dans la première
analepse de la pièce.
Nous sommes à l’aube, sur un rocher, au
milieu d’une foret d’arbres blancs au milieu de la tirade soliloque
de Nawal (14 ans) envers Wahab.
En quoi cette scène annonce-t-elle un destin tragique de la pièce?
Premier Mouvement : La puissance des mots
En premier lieu ce texte met en scène la puissance des mots
qu’utilise Nawal pour mettre en garde Wahab.
Puis s’ensuit état de tension et d’inquiétude chez la jeune
fille(éprouve des difficultés à annoncer qu’elle est enceinte, est très
émue ; elle parle beaucoup): aspect paradoxal d’une scène où le
personnage de théâtre ne cesse de dire qu’il va se taire.
Elle
semble monopoliser la parole (je), ce qui, au théâtre, révèle une
situation de pouvoir.
Nawal met l’accent sur le prénom de Wahab à l’aide d’un
point d’exclamation : « Wahab ! », et enchaîne par la suite à
l’impératif : « Ecoute-moi.
».
Elle continue de lui donner des ordres
et insiste en faisant une triple négation : « Ne dis rien.
Non.
Ne
fi
parle pas.
».
Elle utilise le caractère tragique de la parole, où seule
une issue est possible, la mort : « Si tu me dis un mot, un seul, tu
pourrais me tuer ».
(les mots sont donc capables de provoquer
jusqu’à la mort.)
Par la phrase : « Tu ne sais pas encore, tu ne sais pas le
bonheur qui va être notre malheur.
», elle annonce qu’elle a un
aveu à lui confier, mais sous une forme contradictoire, mélangeant
bonheur et malheur.
Elle reprend en utilisant le caractère maudit de la parole, une
parole qui peut tuer.
Elle affirme qu’une fois l’aveu dévoilé,
quelque chose d’inexorable se passera, on ne pourra plus revenir
en arrière : « tu vas mourir toi aussi ».
(Hyperbole)
Elle met à distance le secret en prononçant les mots : « laisser
échapper les mots qui vont sortir de ma bouche » à la place de dire
simplement « parler ».
Par ailleurs « les mots » sont sujets de « vont sortir», ils ont comme
une vie propre(personni cation).
Le verbe « échapper » est aussi
significatif, les mots semblent avoir la volonté de sortir,
indépendamment de la volonté de Nawal(deviennent sujets d’un
verbe d’action: « qui vont sortir »).
Et pour finir, elle se montre très insistante avec des
répétitions : « Ne dis rien.
Ne dis rien », et des supplications : « s’il
te plaît ».
Nawal tente de contrer cette force de la parole par le silence, en
imposant le silence à Wahab, mais aussi en annonçant son
silence : « Je vais me taire, Wahab, promets-moi alors de ne rien
dire, s’il te plaît, je suis fatiguée, s’il te plaît, laisse le silence.
Je vais
me taire.
Ne dis rien.
Ne dis rien.
».
Ceci annonce aussi son silence
de six ans à la fin de sa vie.
Le silence apparaît comme une liberté,
Cette tirade se clôture sur un double silence, le siens : « Elle
se tait » et celui de wahab.
Elle n’a encore rien dévoilé,
l’atmosphère devient tragique.
Une attente angoissée alors
s’installe chez le lecteur.
Deuxième Mouvement : La déclaration
Dans cette tirade, « Je voulais le hurler pour que tout le
village l’entende[...]Mais je ne pouvais pas.
», Nawal utilise une
parole qui résonne, un peu comme un cri qu’elle ne peut pas
prononcer.
(Toutefois, son pouvoir est très limité, en effet on peut
remarquer une opposition entre sa volonté et son potentiel, elle
« voulait le hurler » mais elle « ne le pouvait pas », elle «doit le dire
à l’oreille [de Wahab] », elle dit « je ne pourrai plus te demander de
rester dans mes bras même si c’est ce que je veux le plus au
monde ».
)
Tout au long elle utilise le déterminant « le », signifiant le
secret que l’on ne connaît toujours pas, ce qui renforce l’attente de
la révélation.
Le registre lyrique est ici utilisé(Le registre lyrique se
manifeste par l’emploi de la 1ère personne, du vocabulaire des
sentiments, des phrases expressives, les figures d’insistances), car il
s’agit de l’amour que l’on veut crier sur les toits, mais que l’on ne
peut pas.
Par ailleurs, la scène prend place dans un cadre typiquement
lyrique, dans la forêt.
Nous pouvons remarquer les nombreux
éléments de la nature : « rocher aux arbres blancs », « les arbres »,
« la lune », « les étoiles », les « oiseaux sauvages », « le vent »,
l’« océan ».
La phrase « pour que tout le village l’entende, pour
que les arbres l’entendent, pour que la nuit l’entende, pour que la
lune et les étoiles l’entendent » est une gradation qui s’étend au
final à tout l’univers, elle souhaite que le monde entier soit témoin
de son histoire.
Cet amour se lit également dans l’exaltation dont
elle fait preuve: la longue phrase « Je voulais le hurler pour que
tout le village l’entende, pour que les arbres l’entendent, que la
nuit l’entende, pour que la lune et les étoiles l’entendent« ,
(gradation et répétitions) confère à cette passion une dimension
cosmique.
En cela, l’expression de sentiments forts par Nawal devient
l’exaltation d’une passion impossible, rappelant la tragédie de
Shakespeare Roméo et Juliette.
Ainsi, plus qu’une scène d’amour,
cette rencontre est une scène d’adieux entre Nawal et Wahab, elle
constitue en effet la dernière scène de proximité entre les deux
personnages.
Puis elle utilise le marqueur d'opposition, " Mais » qui vient
briser son enthousiasme et dénoncer le caractère impossible de
leur amour.
Elle ajoute ne pouvoir Que chuchoter le cri enfermé en
elle: " je dois te le dire à l’oreille ».
Pourtant elle se laisse emporter
de nouveau, mais dans une forme négative: "Je ne pourrai plus",
"je serai à jamais incomplète", appuyée par des répétitions "même
si ».
En cela, l’expression de sentiments forts par Nawal devient
l’exaltation d’une passion impossible, rappelant la tragédie de
Shakespeare Roméo et Juliette.
fi
Elle nous montre une vision romanesque de l'amour, où
l'amour est vécu comme une fusion et la séparation comme un
destin tragique "même si j'ai la conviction que je serai à jamais
incomplète si tu demeure à l'extérieur de moi ».
Ainsi, l’amour de Nawal est exprimé par la nécessité d’une fusion
totale avec Wahab, « rester dans mes bras même si c’est ce que
je veux le plus au monde« , « j’ai la conviction que je demeurerai
à jamais incomplète si tu demeures à l’extérieur de moi« , « avec
toi, je tombais en n dans les bras de ma vraie vie« (à noter le
passage de l’expression au sens propre à l’expression
métaphorique).
Par la conscience de la séparation, cette scène prend une
dimension tragique, et la pièce devient en quelque sorte une
tragédie moderne.
Ainsi, se pose tout d’abord la question du futur,
problématique classique de la tragédie.
Par ailleurs en mentionnant sa « vraie vie », Nawal donne
l’impression d’avoir un destin, impression renforcée par l’utilisation
de verbes au futur simple par les personnages, ils disent, « dirai »,
« pourrai », « serai », ce qui donne l’impression que le futur est
certain et immuable
La didascalie: "il l'embrasse" montre un geste d'amour sans
parole et sans jugement.
Dans le baiser ils ne font plus qu'un.
Quoi
qu'elle lui dise.
Troisième Mouvement : La révélation
En même temps qu'une déclaration d'amour, elle fait ici, avec
une périphrase, une allusion au secret qu'elle va révéler bientôt
("mon ventre est plein de toi »).
Enfin elle lui avoue le secret de manière simple, directe et
compréhensible.
Après la révélation elle enchaîne en criant le nom de Wahab,
et lui pose trois questions successive, « n’est ce pas? » créent une
urgence dans l’expression de la jeune fille.
Tout au long du paragraphe, une ponctuation expressive est
au service du trouble et du dessin qu’ils sont en train de vivre.
Par
ailleurs, Nawal est un personnage exprimant des sentiments forts,
elle utilise des mots aux sens forts dans des phrases exclamatives,
elle voulait « hurler », elle trouve sa grossesse « magnifique et
horrible» (l’intensité de son sentiment est renforcé par l’antithèse).
Toutes ces contradictions nous mettent dans l'état....
»
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