En une réponse à des critiques qui lui reprocheraient d'avoir engagé la littérature dans le combat politique, Montesquieu écrit un essai dans lequel il défend le choix de tout écrivain de mettre la littérature au service de grandes causes. Rédigez cet essai.
Extrait du document
«
Explication des termes du sujet
Il s'agit ici d'avancer des arguments en faveur d'un engagement de la littérature, cet engagement, « au service de grandes causes »,
pouvant être de différentes natures – la formulation du sujet est en effet assez large pour ne pas se limiter à la question de
l'engagement politique.
On pourra procéder d'une manière exclusivement positive, en avançant divers arguments en faveur de cet
engagement, ou bien d'une manière plus dialectique, en ajoutant à ces arguments positifs des contre-arguments que l'on s'emploiera à
réfuter.
Un des problèmes posés par ce sujet d'invention est que l'essai qu'il s'agit de produire est supposé être le fait de Montesquieu : on ne
pourra donc pas exploiter des exemples postérieurs à l'époque de celui-ci, comme celui de Hugo avec le Dernier jour d'un condamné,
plaidoyer littéraire contre la peine de mort, par exemple.
On pourra en revanche imaginer que Montesquieu fasse la promotion d'une
littérature se mettant explicitement au service de certains engagements, de certaines causes.
Il faudra envisager, comme source de contre-arguments que l'on réfutera, tout le domaine de la littérature dont la recherche est
simplement esthétique, ou encore toute l'esthétique littéraire de l'imitation, qui veut que l'art cherche à imiter la nature, à en exprimer
l'essence par exemple, et que sa posture n'est pas une posture d'action sur le monde, mais de contemplation.
La formulation du sujet
d'invention (« En une réponse à des critiques qui lui reprocheraient d'avoir engagé la littérature dans le combat politique »), invite à prêter
cette position-là aux critiques dont serait victime Montesquieu, et donc à commencer l'essai par une réfutation de ces critiques et de leurs
positions.
Il faudra enfin prendre la mesure de l'expression « tout écrivain » : il s'agit en effet ici de définir non pas une posture possible de
l'écrivain, mais celle que doit prendre TOUT écrivain – autrement dit, l'essai appuyer l'idée selon laquelle la seule forme de littérature qui
soit valable est celle qui se met au service de grandes causes.
Arguments possibles
-
Réfutation d'une compréhension purement esthétique, non engagée, de la littérature :
On pourra arguer de l'ancrage nécessaire de l'homme dans le monde, de la nécessité de son action sur celui-ci, et donc faire la promotion
d'une littérature « utile » : la littérature à vocation uniquement esthétique couperait l'homme de son action sur le monde, pourrait
présenter le danger de lui faire perdre la conscience de la réalité des choses au profit d'une réalité imaginaire et illusoire qui aurait pour
effet de le rendre inapte à l'action, inapte à l'engagement dans le monde.
On pourra aussi critiquer un certain narcissisme, peut-être, de la littérature à vocation uniquement esthétique : elle se suffit à elle-même,
se contemple elle-même, ne se soucie peut-être pas de se rendre accessible aux hommes, elle ne sert aucune autre cause qu'ellemême.
NB : dans le cadre de l'essai demandé par ce travail d'invention, ne pas hésiter à présenter ces arguments, assez extrêmes et
conditionnés par le refus d'une littérature désengagée du monde, avec une certaine virulence : ne pas oublier que Montesquieu répond à
des critiques.
-
Promotion du « choix de tout écrivain de mettre la littérature au service de grandes causes » :
Il faut réfléchir d'abord sur la nature de la littérature du point de vue de sa diffusion : elle consiste en des écrits aisément reproductibles
ou communicables à l'oral, elle constitue sans doute un des meilleurs moyens de diffuser les idées nouvelles.
Elle est, en outre, d'une nature artistique qui ajoute, au contenu doctrinal, un plaisir : autrement dit, la littérature mise au service de
grandes causes peut être un moyen particulièrement efficace de servir ces grandes causes.
On pourra prendre pour exemple le texte de
Montesquieu sur l'esclavage, dans l'Esprit des lois :
« Si j'avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :
Les peuples d'Europe ayant exterminé ceux de l'Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l'Afrique pour s'en servir à défricher tant de terres.
Le sucre serait trop cher, si l'on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves.
Ceux dont il s'agit sont noirs depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre.
On ne peut se
mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout bonne, dans un corps tout noir.
Il est si naturel de penser que c'est
la couleur qui constitue l'essence de l'humanité, que les peuples d'Asie qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu'ils ont avec
nous d'une façon plus marquée.
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du
monde, étaient d'une si grande conséquence qu'ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leur tombaient entre les mains.
Une preuve que les
nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez des nations policées, est d'une si grande
conséquence.
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on
commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.
De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux Africains.
Car, si
elle était telle qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d'en faire une
générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ? »
Ce n'est pas seulement un texte idéologique contre l'esclavage, c'est aussi un texte littéraire, qui emploie la figure de l'ironie pour
marquer les esprits : si Montesquieu avait simplement avancé des arguments bruts contre l'esclavage, son texte aurait eu moins de force.
Au contraire, le texte qu'il a effectivement écrit est à lire au second degré, on dépasse le domaine de l'information pour entrer dans celui
de la littérature, qui apparaît bien plus efficace pour servir la cause de la lutte contre l'esclavage.
Compte tenu de cette efficacité
idéologique de la littérature, c'est pour elle un devoir de servir de grandes causes.
On pourra enfin réfléchir sur la posture de l'écrivain face au monde, et faire la promotion d'un statut actif de cette posture : il écrirait pour
améliorer le monde, et pas seulement pour l'imiter ou le contempler.
L'écrivain serait avant tout un homme plongé dans le monde ; le fait
qu'il doive se mettre au service de grandes causes serait en quelque sorte la manière dont il traduirait son engagement dans le monde,
qui peut apparaître comme un devoir moral..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- En réponse à des critiques qui lui reprocheraient d'avoir engagé la littérature dans le combat politique, Victor Hugo écrit un article où il défend le choix de tout écrivain de mettre la littérature au service de grandes causes. Vous rédigerez cet article ?
- Claude Roy définit ainsi la fonction de l'écrivain, dans Le Commerce des classiques, 1953 : « Il v a des hommes dont le métier est de répondre aux questions, de résoudre les problèmes. l'homme politique et le mathématicien, l'ingénieur et l'arpenteur, leur métier c'est d'avoir réponse à tout. Le romancier, le poète, le critique, etc., leur métier est d'avoir question à tout, c'est de s'interroger et d'interroger, c'est de mettre en question ce que personne ne songeait à mettre en quest
- A propos des personnages du théâtre de Corneille, un cri¬tique écrit : « Ils ne seraient pas des héros s'ils ne devaient à chaque instant lutter contre eux-mêmes... Dans toutes les circonstances critiques, ils laissent percer leur sensibilité. » Vous vous attacherez à mettre en valeur cette sensibilité des héros et des héroïnes des grandes tragédies cornéliennes ?
- Un critique moderne écrit à propos de la Lettre à d'Alembert sur les spectacles. « C'est cette curieuse liaison entre le sentiment, la littérature et la politique, qu'il faut dévoiler ». Votre lecture de l'oeuvre de Rousseau inscrite au programme vous semble-t-elle éclairée par cette affirmation ?
- L'écrivain André Gide déclarait : Ce n'est pas avec de bons sentiments qu'on fait de la bonne littérature. Avec quoi donc fait-on de la bonne littérature ? Votre réponse devra s'appuyer sur des exemples précis.