Étudiez cette définition du romantisme que Musset met ironiquement dans la bouche d'un clerc d'avoué : « Le romantisme, mon cher monsieur, mais à coup sûr, ce n'est ni le mépris des unités, ni l'alliance du comique et du tragique, ni rien au monde que vous puissiez dire. Vous saisiriez vainement l'aile du papillon, la poussière qui le colore vous resterait dans les doigts. Le romantisme, c'est l'étoile qui pleure, c'est le vent qui vagit, c'est la nuit qui frissonne, la fleur qui vole
Extrait du document
«
[Introduction]
Le drame romantique s'inscrit dans la rupture que les jeunes écrivains romantiques veulent marquer avec l'esthétique
du classicisme.
Dans cette mesure, on comprend que Musset s'insurge contre une tentative de définition réductrice
d'un élan naissant : « Non [...], ce n'est ni le mépris des unités ni l'alliance du comique et du tragique, ni rien au
monde que vous puissiez dire.
» Mais, lui, le poète, peut tenter de dire l'indicible en multipliant les images, les
antithèses, en évoquant un nouvel univers poétique, celui de la nature et des sentiments notamment.
S'il est vrai
que le drame romantique prône la liberté dans l'art, comme l'affirme Hugo dans la Préface de Cromwell, on ne peut
ignorer comment il s'est constitué en genre à part entière à travers de nouvelles règles ; nous pourrons le voir dans
la pièce de Hugo, Hernani, avant d'essayer de définir une poétique du drame romantique à la fois moins réductrice et
plus précise que celle de Musset et son interlocuteur.
[La liberté dans l'art]
Le précepte de la liberté dans l'art, revendiqué par Victor Hugo, apparaît principalement sous trois aspects : le refus
des contraintes imposées par l'héritage du classicisme d'une part, qui découle des prérogatives nouvelles mais
absolues du réel et de l'art, d'autre part.
La tragédie classique, au fil des années, s'est appauvrie sous le poids des
conventions et ne correspond plus au goût du temps : Hernani rompt brutalement avec elle, la première
représentation de la pièce fut préparée, et se déroula, comme une bataille.
La pièce en elle-même est un manifeste
: la didascalie initiale attire l'attention par le nombre des personnages et surtout par la présence annoncée en scène
de groupes importants de personnages, seconds rôles ou figurants : « conjurés de la ligue sacro-sainte, allemands
et espagnols / montagnards, seigneurs, soldats, pages, peuple, etc.
» Cette liste impressionnante nous plonge
d'emblée dans un autre univers que l'univers épuré de la tragédie.
En effet, ce ne sont plus ni la bienséance ni la
vraisemblance qui guident l'artiste, mais avant tout le réel : « la réalité selon l'art » et non « la réalité selon la
nature », comme les distingue bien Hugo lui-même dans sa Préface.
Les personnages ont autant de défauts que de
qualités ; le héros Hernani aime Dona Sol à la folie, mais il ne peut se sacrifier à elle : au début de la pièce, il lui
offre de partager sa vie de banni ; à la scène 4 de l'acte III, il l'accuse injustement d'avoir trahi leur amour et,
quand il est rassuré sur ses sentiments, il laisse éclater un désespoir sans limites : « Doha Sol, prends le duc, prends
l'enfer, prends le roi ! / Tout ce qui n'est pas moi vaut mieux que moi ! » Ses défauts, ses contradictions reflètent le
réel avec la vérité et les déformations d'un « miroir de concentration » (Victor Hugo, Préface de Cromwell).
Enfin,
du refus de définition par des règles naît la prérogative accordée selon Musset à la poésie ; effectivement, la
beauté du drame romantique tient au moins autant à son lyrisme, à sa force pathétique qu'à son action
mouvementée : dans la scène 3 de l'acte V, les deux amants, enfin mariés et fêtés par la société, se livrent à un
duo d'amour que certains ont comparé aux chants d'opéra les plus beaux ; Dona Sol évoque ainsi le « calme [...]
trop profond de la nuit » : « Le bal I Mais un oiseau qui chanterait aux champs ! / Un rossignol perdu dans l'ombre et
dans la mousse, / Ou quelque flûte au loin ! [...] Car la musique est douce [...] » Quant à Hernani, il s'exclame : «
Ah ! qui n'oublierait tout à cette voix céleste ? / Ta parole est un chant où rien d'humain ne reste.
» Mais on
pourrait multiplier indéfiniment les exemples, car le propos du drame est de suremployer le registre lyrique par
rapport à la conversation dialoguée.
[Le drame s'invente de nouvelles règles et de nouveaux lieux communs]
Toutefois, on s'aperçoit que ce refus des anciennes règles et cette revendication de la liberté dans l'art n'évitent
pas à ce nouvel art dramatique de se fonder en genre, en créant de nouvelles règles.
Le mépris des unités, tout
d'abord, devient une loi du genre ; dans Hernani, les lieux sont multiples : ainsi, alors que l'acte I se déroule dans là
chambre de Dona Sol et l'acte II sous son balcon, l'acte III transpose l'action principale dans les montagnes
d'Aragon et le château de Don Ruy ; de même, l'action de la pièce s'étend sur six mois environ ; enfin, si Victor
Hugo respecte bien l'unité d'intérêt, l'intrigue multiplie les actions secondaires : les ambitions impériales de Don
Carlos ou le complot des grands d'Espagne.
L'interlocuteur de Musset n'a donc pas tort d'associer drame romantique
et mépris des unités.
D'autre part, « l'alliance du comique et du tragique » définit le drame romantique, surtout si l'on veut bien
reconnaître en elle le « mélange des genres », du « sublime » et du « grotesque » que préconise Victor Hugo dans la
préface de Cromwell.
Le drame d'Hernani allie évidemment ces deux aspects complémentaires de l'humanité, selon
Hugo : dans l'acte I, Don Carlos négocie le droit de se cacher dans une armoire pour surprendre celle qu'il aime, et
finit lui-même par être surpris avec un autre soupirant par l'oncle de la jeune fille ; ce même Don Carlos est le roi qui
se recueille devant le tombeau de Charlemagne à la scène 2 de l'acte IV et évoque avec une grandeur sublime la
majesté et la puissance impériale.
Enfin, il existe sans doute un autre élément déterminant pour définir le drame romantique, que ne mentionne pas
l'interlocuteur de Musset, mais qui transparaît dans la réponse de celui-ci, de manière extrêmement ténue : « la
citerne sous les palmiers » ; cette expression est un clin d'œil au goût du romantisme pour le pittoresque et la
couleur locale.
Bien sûr, Hernani développe ce goût en présentant une Espagne pittoresque : les montagnes de
Catalogne où s'est réfugié Hernani (« Seule, dans ses forêts, dans ses hautes montagnes, / Dans ses rocs où l'on
n'est que de l'aigle aperçu,/ La vieille Catalogne en mère m'a reçu.
»), les cortèges portant la bannière de l'empire
(décrits dans la longue didascalie de la scène 4 de l'acte IV) ou la description du palais et de la noce d'Hernani et de
Dona Sol, dans le style « mauresque » et « gothique » à la fois.
Mais cela va plus loin ; il ne s'agit pas simplement
de flatter un goût à la mode.
Le drame romantique se nourrit du réel comme on l'a déjà dit, et par conséquent
choisit ses sujets d'inspiration dans l'histoire : Hernani est aussi l'histoire de l'avènement de Charles-Quint,
moralement comme physiquement.
Ces caractéristiques communes aux drames romantiques nous permettent de cerner quelques lois du genre, mais ne
donnent pas la clef de cet art dramatique et poétique..
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