Eugène IONESCO, Le Roi se meurt, 1962.
Extrait du document
Eugène IONESCO, Le Roi se meurt, 1962.
[Bérenger 1er ne veut pas comprendre le destin inexorable que son médecin et sa première femme lui ont annoncé : il va mourir. La seconde épouse du Roi, Marie, est présente.]
LE ROI. — Viens vers moi,
MARIE. — Je voudrais bien. Je vais le faire. Je vais le faire. Mes bras retombent.
LE ROI. — Alors, danse. (Marie ne bouge pas.) Danse. Alors, au moins, tourne-toi, va vers la fenêtre, ouvre-la et referme
MARIE. — Je ne peux pas.
LE ROI. — Tu as sans doute un torticolis, tu as certainement un torticolis. Avance vers moi.
MARIE. — Oui, Sire.
LE ROI. — Avance vers moi en souriant.
MARIE. — Oui, Sire.
LE ROI. — Fais-le donc !
MARIE. — Je ne sais plus comment faire pour marcher. J'ai oublié subitement.
MARGUERITE, à Marie. — Fais quelques pas vers lui.
Marie avance un peu en direction du Roi.
LE ROI. — Vous voyez, elle avance.
MARGUERITE. — C'est moi qu'elle a écoutée. (A Marie.) Arrête. Arrête-toi.
MARIE. — Pardonne-moi, Majesté, ce n'est pas ma faute.
MARGUERITE, au Roi. — Te faut-il d'autres preuves ?
LE ROI. — J'ordonne que les arbres poussent du plancher. (Pause.) J'ordonne que le toit disparaisse. (Pause.) Quoi ? Rien ? J'ordonne qu'il y ait la pluie. (Pause, toujours rien ne se passe.) J'ordonne qu'il y ait la foudre et que je la tienne dans ma main. (Pause.) J'ordonne que les feuilles repoussent (ll va à la fenêtre.) Quoi ! Rien ! J'ordonne que Juliette entre par la grande porte. (Juliette entre par la petite porte au fond à droite.) Pas par celle-là, par celle-ci. Sors par cette porte. (Il montre la grande porte. Elle sort par la petite porte, à droite, en face. A Juliette.) J'ordonne que tu restes. (Juliette sort.) J'ordonne qu'on entende les clairons. J'ordonne que les cloches sonnent. J'ordonne que cent vingt et uns coups de canon se fassent entendre en mon honneur. (Il prête l'oreille.) Rien ! ... Ah si ! J'entends quelque chose.
LE MÉDECIN. — Ce n'est que le bourdonnement de vos oreilles, Majesté.
Liens utiles
- POURQUOI ÉCRIVEZ-VOUS ? - Eugène IONESCO, Notes et Contre notes, 1962
- Ionesco, le Roi se meurt - Commentaire de la tirade sur le chat
- « Le personnage dramatique ne commence vraiment à vivre que sur scène. Les diverses interprétations qu'on peut en donner le modifient de façon sensible » de Maurice Desotes dans Les grands rôles du théatre de Racine en 1957. Je doit discuter cette affirmation en un développement organisé, s'appuyant sur des exemples précis tiré du corpus donné c'est à dire Phèdre de Racine, Hernani de Victor Hugo, En attendant Godot de Beckett et Le Roi se meurt de Ionesco.
- Eugène Ionesco
- Eugène Ionesco