Eugène VERMERSCH (1845-1878) - Les incendiaires
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Eugène VERMERSCH (1845-1878) - Les incendiaires Paris flambe, à travers la nuit farouche et noire ; Le ciel est plein de sang, on brûle de l'histoire. Théâtres et couvents, hôtels, châteaux, palais, Qui virent les Fleurys après les Triboulets, Se débattent parmi les tourbillons de flammes Qui flottent sur Paris comme les oriflammes D'un peuple qui se venge au moment de mourir. Le feu de pourpre et d'or monte comme un soupir Vers les appartements secrets des Tuileries, Sèche les plafonds peints et les chambres fleuries, Et dévorant, au fond des boudoirs étoilés, Les meubles précieux, les plafonds ciselés, Les laques, les tableaux et les blanches statues, Dont l'orgueil virginal enfle les gorges nues ; Il montre dans la nuit au monde épouvanté Comment tombe Paris drapé dans sa fierté. Ce lourd entassement qu'étayaient des faits sombres, Le Louvre aussi flamboie et s'écroule en décombres Avec ses murs de marbre et ses portes d'airain. L'antre où rôdait encor l'ombre de Mazarin Et qui frémit le jour qu'à la voix de Camille, Le peuple décréta qu'on prendrait la Bastille, Le palais de Philippe-Égalité n'est plus... Ces pans de murs noircis, ces débris inconnus, Ces pierres sur le sol, ce furent les Finances. Ce léger édifice où dans le bruit des danses, Des coupes, des baisers, des amoureux serments, Le traître Salm vendait la France aux Allemands Et que plus tard sacra le souffle de Corinne, La Légion d'honneur n'est plus qu'une ruine... Le Palais de Justice et l'hôtel de Pietri, Et la Conciergerie où Damiens meurtri, Robespierre, Vergniaud et ceux de La Rochelle Apparaissent autour de la Sainte Chapelle Ainsi que trois flambeaux surhumains et sacrés, Brûlent ensemble aux yeux des tueurs effarés. Cette torche, là-bas, jaunâtre et violette Qui tremble au vent, c'étaient les Docks de la Villette. Ici près c'est la Cour des Comptes qui se tord Dans un embrasement farouche qui la mord Et qui broie en courant ses piliers, ses toitures, Et sa bibliothèque où des larves impures Dormaient sur les dossiers du monde impérial ! Et plus loin l'ouragan vengeur de Prairial A sur les Gobelins déchaîné la tempête ; La soie en fleurs le long des métiers toute prête Fond en frisant ainsi que des cheveux d'enfants. L'incendie est partout, immense, triomphant ; Il danse sur le toit, il rampe dans la cave ; Le plomb en nappes coule ainsi que de la lave Et sur les pavés noirs s'étale en flots d'argent. Puis tout à coup un feu gigantesque, émergeant Du milieu de la ville effrayante, domine La grandiose horreur du canon, de la mine, Éclatant en faisant sauter tout un quartier, Et du mur qui chancelle et s'abat tout entier Avec le grondement prolongé du tonnerre, Les voix, les pleurs, le bruit des pas, les cris de guerre, Et l'on voit s'élancer vers les astres surpris La grande âme de la cité qui fut Paris... La flamme impitoyable étreint l'Hôtel de Ville ! Ô souvenirs. Histoire héroïque ou servile. Ô Maison aux Piliers. Grand Étienne Marcel, Conseil des Seize. Ligue. Ô silence cruel, Qui bâillonna Paris durant deux cents années. Commune où pour flétrir les têtes couronnées, Pareille au bruit du vent déchaîné sur la mer, La fougue de Danton couvrait la voix d'Hébert. Balcon qui vit la France outragée ou vendue Par trois fois acclamer la liberté rendue ! Jadis quatre-vingt-neuf avec ses rubans verts, Un beau soir de juillet, pour le vieil univers Y monta proclamant ton Verbe, ô République ! C'est de là que plus tard la populace épique Vit sur l'horizon plein de rires et de voix Le passé qui fuyait dans le fiacre des rois. C'est là qu'elle brisa la chaîne impériale, C'est là qu'elle affirma la force communale... Ô dévouements ! fiertés ! gloires ! écroulements, Ô sang du peuple, os des aïeux, siècles dormants ! Paris est mort !... Et sa conscience abîmée, A tout jamais s'évanouit dans la fumée !... Et bien ! quand l'incendie horrible triomphait, Une voix dans mon coeur criait ; ils ont bien fait !
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