Explication d’un extrait d’Électre de Jean Giraudoux : Famille et psychanalyse.
Publié le 10/11/2022
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«
Séance 3 : explication d’un extrait d’Électre de
Jean Giraudoux :
Famille et psychanalyse.
Introduction :
- Amorce : le mythe des Atrides est l’un des plus célèbres et des plus sanglants
de la mythologie grecque.
Les trois grands auteurs tragiques de l’Antiquité,
Eschyle (dans sa trilogie L’Orestie), Sophocle et Euripide, l’évoquent.
Cette
histoire est ensuite très souvent reprise par d’autres dramaturges, dont
Giraudoux qui, en 1937, fait paraître et représenter sa pièce Électre.
Le mythe, qui s’étend sur plusieurs générations, est le suivant : la famille des
Atrides est la famille tragique par excellence.
Atrée et son frère Thyeste sont
maudits pour avoir tué Chrisyppos, leur demi-frère cadet.
Ils se réfugient à
Mycènes.
Leur rivalité pour le trône de la cité nourrit en eux une haine bientôt
inexpiable.
Atrée l’emporte, tue trois fils de Thyeste et les lui fait servir au cours
d’un banquet à l’issue duquel il montre au malheureux père la tête de ses
enfants.
Thyeste se réfugie à Sicyon.
Un oracle lui ayant prédit que sa vengeance
viendrait d’un fils qu’il concevrait de sa propre fille Pélopia, il la viole nuitamment
sans se faire reconnaître.
Naît Égisthe.
Celui-ci grandit dans l’ignorance de sa
naissance auprès d’Atrée qui a entre-temps épousé Pélopia.
Détestant toujours
son frère, Atrée confie à Égisthe la mission d’assassiner Thyeste.
Égisthe
découvre à temps que celui-ci est son père.
Il tue Atrée et donne à Thyeste le
trône de Mycènes.
La malédiction divine va poursuivre sans relâche la descendance d’Atrée.
À sa
mort, Atrée laisse deux fils : Agamemnon et Ménélas.
Chassés de Mycènes après
la mort de leur père, tous deux trouvent refuge à la cour de Sparte.
Ménélas y
épouse Hélène.
À la mort de Thyeste, Agamemnon s’empare du trône de
Mycènes et il contraint la jeune veuve, Clytemnestre, sœur d’Hélène, à l’épouser.
Leur union est doublement maudite puisque Agamemnon épouse sa tante et qu’il
a dû, pour s’emparer du pouvoir, faire assassiner deux de ses cousins, héritiers
du roi défunt.
Agamemnon et Clytemnestre ont pour enfants Électre, Oreste et
Iphigénie.
Un jour, les trois déesses Aphrodite, Héra et Athéna demandent au berger troyen
Pâris de donner à la plus belle d’entre elles une pomme d’or.
Pâris désigne
Aphrodite, qui lui promet en échange l’amour de la plus belle femme grecque,
Hélène.
Pâris, fils du roi Priam, enlève Hélène.
Les Grecs décident une expédition
punitive et élisent Agamemnon comme chef suprême de l’armée.
La guerre de
Troie dure dix ans.
Dès le départ, les problèmes sont nombreux : Artémis, irritée
qu’Agamemnon ait tué son animal fétiche dans une enceinte sacrée, provoque un
calme plat.
Sans vent dans les voiles, la flotte grecque ne peut appareiller.
Pour
apaiser Artémis, Agamemnon se résout à sacrifier sa fille.
Mais, au moment où
elle va être immolée, Artémis la sauve en lui substituant une biche.
Iphigénie
devient la prêtresse d’Artémis.
Après un long siège et de multiples péripéties (une peste, une rivalité entre
Agamemnon et Achille, l’épisode du cheval de Troie…), Troie est prise, incendiée
et pillée.
Roi des rois, Agamemnon peut rentrer chez lui.
Mais, durant ces années
de guerre, Clytemnestre est devenue la maîtresse d’Égisthe qui exerçait l’intérim
du pouvoir.
À l’issue d’un fastueux banquet, Clytemnestre et Égisthe assassinent
Agamemnon.
Ses enfants le vengent : Électre pousse son frère Oreste à tuer
Clytemnestre et Égisthe.
Enfin, la série de meurtres se termine : Oreste est jugé
par un tribunal athénien et est acquitté.
Dans sa tragédie Électre, Giraudoux choisit d’évoquer de manière personnelle la
fin du mythe, le moment où Oreste revient à Mycènes, sept ans après le meurtre
de son père Agamemnon, et tue sa mère Clytemnestre et son amant Égisthe,
poussé par Électre
- Présentation du texte : peu avant la scène 8 de l’acte I, Oreste a révélé à sa
sœur qui il est (il a été exilé très jeune et elle ne l’a jamais revu depuis).
Dans la
scène 8, tous deux évoquent leur mère Clytemnestre.
Électre déverse la haine
qu’elle porte à Clytemnestre (même si dans la pièce de Giraudoux, elle ne sait
pas encore qu’elle et Égisthe ont tué Agamemnon), en même temps qu’elle
évoque l’amour qu’elle éprouvait pour son père.
On peut distinguer deux
mouvements dans cette scène : tout d’abord, dans sa première tirade, Électre
insiste surtout sur l’amour qu’elle porte à son père (lignes 1 à 12).
Ensuite, elle
développe plutôt la haine qu’elle voue à sa mère et à son amant Égisthe.
- Lecture du texte.
- Annonce des axes sur lesquels sera centrée l’analyse linéaire : nous
nous intéresserons, au cours de l’analyse linéaire, à la relecture du mythe par
Giraudoux, au prisme de la psychanalyse naissante, et notamment de l’invention
par Carl Gustav Jung du concept du complexe d’Électre, équivalent féminin du
complexe d’Œdipe forgé par Freud (Jung, Essai d’exposé de la théorie
psychanalytique, 1913).
Selon Jung, en effet, toute petite fille passe par une
phase selon laquelle la mère est celle qu’elle voudrait être, et le père celui qu’elle
voudrait avoir.
Cet extrait de la pièce de Giraudoux peut se lire comme une
illustration de ce concept : Électre voue un amour démesuré pour son père mort
(premier axe), tandis qu’elle développe une haine pour sa mère dont elle ne
connaît pas encore la raison ; en effet, dans la pièce de Giraudoux, elle ne sait
pas encore que sa mère Clytemnestre et son amant Égisthe ont tué Agamemnon
(second axe).
Analyse linéaire :
Lignes /
extraits du
texte
Lignes 1 à 12.
Procédés
Interprétations
Premier
mouvement du
texte.
Lignes 1 et 2.
- Phrases
exclamatives.
- Comparatif
d’infériorité :
« moins dur pour
elle ».
Lignes 3 à 5.
- Répétition :
Électre évoque sa haine pour sa
mère, puis s’attarde sur l’amour
qu’elle éprouvait, et éprouve encore,
pour son défunt père.
L’émotion d’Oreste apparaît à travers
deux phrases exclamatives ; il s’agit à la
fois de surprise et de colère.
En effet,
Oreste est étonné de la force de la haine
de sa sœur envers sa mère, alors même
que cette dernière a été beaucoup moins
dure avec Électre qu’avec Oreste (il a
été exilé très jeune).
Le comparatif
d’infériorité montre bien cela.
Électre insiste sur le caractère originel
« mise au
monde ».
- Champ lexical de
la naissance :
« mise au
monde », « entrée
dans la vie »,
« maternité ».
Lignes 5-6 :
« j’aime tout ce
qui, dans ma
naissance
revient à mon
père » (lignes
5-6).
- Antithèses : « je
ne peux
supporter » /
« j’aime » ;
« mère » /
« père ».
Lignes 6 à 9.
- Anaphore de
« j’aime ».
- Répétition du
mot « corps ».
- Lexique
érotique :
« dévêtu »,
« couché »,
« remua son
corps ».
- comparatif de
supériorité.
Lignes 9 à 12 :
de « je suis
née » jusqu’à
qui suivit ma
naissance ».
- dérivation
(utilisation de
mots de la même
famille) : « je suis
née » / « ma
naissance ».
- Euphémisme :
« des consolations
qu’il prit avec
de sa haine : elle réside dans le fait que
ce soit sa mère qui l’ait mise au monde.
Elle aurait voulu que ce soit son père.
Il
y a un refus complet de la mère, de la
part d’Électre, alors qu’elle ignore encore
que Clytemnestre est la meurtrière de
son père.
Giraudoux réécrit le mythe
(dans celui-ci, Électre sait que sa mère a
tué son père), de façon à illustre les
théories psychanalytiques naissantes, et
notamment celle de Jung qui, adaptant
le complexe d’Œdipe freudien à la petite
fille, affirme qu’il y a un stade chez cette
dernière, comme chez le garçon, au
cours duquel elle entre en concurrence
avec la mère pour avoir son père pour
elle seule.
Électre
oppose
son
père,
qu’elle
« aime », et sa mère, qu’elle ne peut
« supporter ».
Elle
évacue
complètement sa mère et indique
clairement qu’elle aurait voulu être
enfantée par son père, à travers une
phrase brève, ce qui crée un effet fort
sur le spectateur.
Électre fait ici un véritable éloge de son
père.
On a l’impression que c’est lui qui
lui a donné la vie, comme le montre le
comparatif de supériorité : « d’où je me
sens plus issue que des souffrances et
des efforts de ma mère ».
L’anaphore de
« j’aime » donne à cet éloge du père un
caractère
obsessionnel
et
assez
inquiétant, qui est augmenté encore par
l’utilisation par Électre du lexique à
connotation érotique, ainsi que la
répétition du mot « corps » lorsqu’elle
parle de son père.
Elle l’évoque un peu
comme elle parlerait d’un amant.
L’illustration du complexe d’Électre mis
en évidence par Jung apparaît ici
clairement.
Électre aurait voulu posséder
le corps de son père.
Cette phrase forme une sorte de boucle,
puisqu’Électre évoque sa naissance au
début (« je suis née ») et à la fin (« ma
naissance »).
Cette dérivation suggère le
fait qu’Électre éprouve le besoin de
revenir sur cette naissance et d’évacuer
la mère au profit du père.
En effet, elle
n’évoque ici que les attitudes de son
père à sa naissance : « sa nuit de
d’autres
femmes ».
« Tout ce qui
est de cette
naissance du
côté de ma
mère, je le
hais » (lignes
11-12).
- Phrase courte.
- Verbe « haïr »
mis en valeur par
sa position en fin
de phrase.
- Antithèse :
« j’aime » / « je le
hais ».
Lignes 13 à
27.
Second....
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