Expliquer le sonnet qu'en 1828 Sainte-Beuve consacrait à Ronsard, en publiant un recueil de ses Oeuvres choisies.
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«
Expliquer le sonnet qu'en 1828 Sainte-Beuve consacrait à Ronsard, en publiant un recueil de ses Oeuvres
choisies.
A toi, Ronsard, à toi, qu'un sort injurieux
Depuis deux siècles, livre aux mépris de l'histoire,
J'élève de mes mains l'autel expiatoire
Qui te purifiera d'un arrêt odieux.
Non que j'espère encore, au trône radieux
D'où jadis tu régnais, replacer ta mémoire;
Tu ne peux de si bas remonter à la gloire ;
Vulcain impunément ne tomba point des cieux.
Mais qu'un peu de pitié console enfin tes mânes ;
Que, déchiré longtemps par des rires profanes,
l'on nom, d'abord fameux, recouvre un peu d'honneur !
Qu'on dise : « Il osa trop, mais l'audace était belle ;
Il lassa, sans la vaincre, une langue rebelle ;
Et de moins grands, depuis, eurent plus de bonheur ».
(Paris, mars 1918).
DÉVELOPPEMENT
En 1828 Sainte-Beuve publiait son fameux « Tableau historique et critique de la Poésie française et du Théâtre français
au XVIe siècle » suivi, en un second volume, des « Oeuvres choisies de Pierre de Ronsard, avec Notice, Notes et
Commentaires ».
Ce dernier recueil était précédé d'un sonnet à la louange du chef de la Pléiade.
Analyse du sonnet.
Sainte-Beuve entend reviser le jugement porté sur Ronsard par le XVIIe siècle et le tirer de l'oubli où il était enseveli.
Sans doute, il ne saurait être question de lui rendre son antique gloire, mais il convient de reconnaître que l'exagération
même de son audace « était belle » et ,méritait un sort meilleur.
Seule l'insuffisance de la langue d'alors expliquerait
son échec.
Eloge de l'oeuvre de Ronsard.
D'autres, après Sainte-Beuve, devaient s'attacher à poursuivre cette réhabilitation de Ronsard et, aujourd'hui, nous
n'hésitons plus à le ranger parmi les plus grands poètes dont s'enorgueillit notre littérature.
Ce que nous louons en lui,
c'est la hardiesse de ses conceptions, son effort pour réformer la langue, pour'.réer de nouveaux mètres et de
nouveaux rythmes.
Le poète, déclare-t-il, est investi d'un véritable sacerdoce.
Il est plus grand que les rois, car seul il peut conférer
l'immortalité.
Qu'il s'abandonne donc à la sainte fureur des Corybantes ; aucun sujet ne doit lui être inaccessible.
Bannissant les poèmes de circonstance, les jeux puérils où se complaisaient ses prédécesseurs, il tentera hardiment
l'élégie, l'hymne et même l'ode pindarique et l'épopée.
Mais, pour aborder de tels genres, notre langue se révèle insuffisante.
— Qu'à cela ne tienne ! Il la réformera et
l'enrichira, puisant à pleines mains chez les anciens, forgeant des mots nouveaux, créant des composés ou des
diminutifs, empruntant aux patois, donnant droit de cité aux termes de métier.
Son but n'était donc pas, comme on l'a
prétendu, « de gréciser et de latiniser », mais de défendre notre langue contre ceux qui « voulaient faire servante une
demoiselle de noble maison ».
Cette même audace se retrouve dans la prodigieuse variété de ses combinaisons rythmiques.
II restaure l'alexandrin,
tente les vers de 9 syllabes, compose des strophes de 4, 10 et 12 vers, formule le principe de l'alternance des rimes.
Véritables raisons de son échec.
Il est donc vrai que Ronsard « osa » beaucoup, mais est-ce bien à l'excès de son audace et à l'imperfection de la
langue du XVIe siècle qu'il faut attribuer son insuccès, tout au moins partiel ? Non : la langue française avait déjà
montré qu'elle « n'était pas rebelle » sous la plume de poètes tels que Villon, ou même Marot dans certaine de ses
Epitres.
D'autre part, l'ambition de Ronsard d'égaler la poésie française à la poésie grecque ou latine n'avait rien que de
très noble.
Si Ronsard a échoué, c'est que chez lui l'érudition a trop sou, vent étouffé la nature, c'est qu'il a prétendu réaliser trop
vite et par des procédés trop purement artificiels une réforme qui exige pour s'accomplir un lent travail d'adaptation et
de transformation, c'est qu'il a parfois forcé le génie de notre langue.
Mais ces imperfections ne sont pas la mesure de son oeuvre.
N'oublions pas que, sans aller même jusqu'aux
romantiques, dont il fut le maitre et, en maintes circonstances, l'inspirateur, il « a préparé le XVIIe siècle et l'art
classique ».
C'en est assez pour a le replacer sur le trône radieux d'où il régnait jadis.
».
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