Fausses Confidences acte I scène 1
Publié le 02/04/2024
Extrait du document
«
Les Fausses confidences, Marivaux,
Texte n°1 : Acte I, scène 2 (extrait)
Situation du passage avant lecture : La scène 2 est une scène « d’exposition » : le dialogue entre Dorante et Dubois « expose » au public
les enjeux essentiels de la situation.
Dorante, jeune homme de bonne bourgeoisie, est dans une situation financière difficile.
Il n’a d’ailleurs
pu garder à son service son fidèle serviteur Dubois qui est désormais employé par Araminte, jeune et riche veuve.
Or, Dorante est
amoureux de cette jeune femme.
Dubois a donc réussi à persuader son ancien maître d’entrer au service d’Araminte comme intendant, pour
se rapprocher d’elle et obtenir sa main.
La situation est délicate.
Dorante fait part de ses doutes.
Dubois le rassure.
Dans cet extrait de la
scène, le rapport maître et valet attire l’attention, ainsi que le discours de Dubois sur l’amour, représenté comme une opération stratégique.
LECTURE DU TEXTE À VOIX (conseil : ne pas lire les noms des personnages.
Pensez à bien rendre le
ton des personnages dans cette conversation : Dorante est inquiet et Dubois, sûr de lui, associe l’humour,
l’encouragement, l’énergie.)
1.
5.
10.
15.
20.
25.
Dorante.
Quand pourrai-je reconnaître tes sentiments pour moi ? Ma fortune serait la tienne ; mais je n’attends
rien de notre entreprise, que la honte d’être renvoyé demain.
Dubois.
Eh bien, vous vous en retournerez.
Dorante.
Cette femme-ci a un rang dans le monde ; elle est liée avec tout ce qu’il y a de mieux, veuve d’un mari qui
avait une grande charge dans les finances ; et tu crois qu’elle fera quelque attention à moi, que je l’épouserai, moi
qui ne suis rien, moi qui n’ai point de bien ?
Dubois.
Point de bien ! votre bonne mine est un Pérou.
Tournez-vous un peu, que je vous considère encore ; allons,
monsieur, vous vous moquez ; il n’y a point de plus grand seigneur que vous à Paris : voilà une taille qui vaut toutes
les dignités possibles, et notre affaire est infaillible, absolument infaillible.
Il me semble que je vous vois déjà en
déshabillé dans l’appartement de madame.
Dorante.
Quelle chimère !
Dubois.
Oui, je le soutiens ; vous êtes actuellement dans votre salle et vos équipages sont sous la remise.
Dorante.
Elle a plus de cinquante mille livres de rente, Dubois.
Dubois.
Ah ! vous en avez bien soixante pour le moins.
Dorante.
Et tu me dis qu’elle est extrêmement raisonnable.
Dubois.
Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle.
Si vous lui plaisez, elle en sera si honteuse, elle se débattra
tant, elle deviendra si faible, qu’elle ne pourra se soutenir qu’en épousant ; vous m’en direz des nouvelles.
Vous
l’avez vue et vous l’aimez ?
Dorante.
Je l’aime avec passion ; et c’est ce qui fait que je tremble.
Dubois.
Oh ! vous m’impatientez avec vos terreurs.
Eh ! que diantre ! un peu de confiance ; vous réussirez, vous
dis-je.
Je m’en charge, je le veux ; je l’ai mis là.
Nous sommes convenus de toutes nos actions, toutes nos mesures
sont prises ; je connais l’humeur de ma maîtresse ; je sais votre mérite, je sais mes talents, je vous conduis ; et on
vous aimera, toute raisonnable qu’on est ; on vous épousera, toute fière qu’on est ; et on vous enrichira, tout ruiné
que vous êtes ; entendez-vous ? Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende.
Quand l’amour parle, il est
le maître ; et il parlera.
[…]
Entrée en matière et composition :
À la scène 2, la didascalie initiale est à prendre en compte : « DUBOIS
air de mystère.
»
entrant avec un
En effet, e jeu de Dubois qui entre avec un « air de mystère » signale d’emblée l’atmosphère
de stratagème et la « comédie d’intrigue ».
Les deux personnages sont seuls : ce qu’ils se disent doit rester secret et, paradoxalement, le
public entend leur conversation : nous sommes mis dans la confidence et devenons
complices du stratagème.
C’est le principe théâtral de la double énonciation : les paroles
entre personnages sont dites aussi pour le public.
Informé des liens entre les personnages (Dorante et Dubois sont complices) et de l’enjeu
(entrer au service d’une femme dans l’intention de l’épouser), le public se prépare à observer
la tactique.
Dans notre extrait, Marivaux renouvelle le rapport maître et valet : dans la tradition théâtrale,
il est d’usage que le valet vienne au secours de son jeune maître.
Mais ici, c’est un lien amical
qui unit les deux hommes et c’est volontairement que Dubois, qui n’est pourtant plus le valet
de Dorante, souhaite aider Dorante.
IL N’EST PAS UN SUBALTERNE.
On remarque AU
1
CONTRAIRE que Dubois exerce l’ascendant sur Dorante et même une certaine emprise.
Il sera intéressant alors de voir comment l’humeur conquérante de Dubois donne à
ce passage
l’allure d’une opération militaire en direction d’une jeune femme riche qu’il faut
rendre amoureuse.
La composition du notre extrait fait apparaître quatre moments correspondant
aux objections de Dorante, sûr de l’échec,
et aux contre-arguments de Dubois, sûr de la victoire.
- D’abord, un échange de deux répliques (Dorante/Dubois) installe la relation : face à
« l’entreprise », Dorante est anxieux et Dubois est serein.
- Puis, en second temps (vient un ensemble de 6 répliques autour de l’argument
avancé par Dorante l’obstacle majeur de l’écart social.
Face à cela et en contreargument, Dubois donne sa carte-maîtresse : Dorante est pauvre mais il est jeune et
beau.
- en 3°temps, l.15-18, est énoncé une troisième objection : Araminte est « extrêmement
raisonnable », objection aussitôt rejetée par Dubois.
- Enfin, de la ligne 19 à la fin : deux proclamations : Dorante proclame son amour
avec force et Dubois proclame son talent tactique et sa certitude de la victoire.
Les
rôles sont distribués et le duo est construit : il réunit l’amour (Dorante) et le stratagème
(Dubois) dans la bataille pour le bonheur.
Explication linéaire :
Notre extrait débute avec Dorante qui exprime sa gratitude envers Dubois et ses doutes quant à cette
première journée chez Araminte :
Dorante.
Quand pourrai-je reconnaître tes sentiments pour moi ? Ma fortune serait la tienne ; mais je n’attends
rien de notre entreprise, que la honte d’être renvoyé demain.
L’emploi en miroir des possessifs (Tes /ma) et des pronoms (moi /la tienne) dans les
formules :
« Tes sentiments / pour moi
Ma fortune / serait la tienne »
montre que le duo ne fait qu’un.
Marivaux installe une relation maître et valet fondée sur l’estime et la reconnaissance.
Seul le fait que Dorante tutoie Dubois (« tes sentiments ») et que Dubois vouvoie Dorante (« eh bien,
vous vous en retournerez ») signale encore la différence de rang, qui disparaît dans l’expression du
projet: « NOTRE entreprise ».
Simultanément,
Marivaux pose le cadre :
Cette évocation de la « fortune » montre que notre intrigue est tout autant une affaire d’amour
qu’une affaire d’argent.
Le terme « entreprise » qui signifie ici « projet », mais aussi « plan », « machination »
renforce l’atmosphère de « comédie d’intrigue ».
L’adverbe de temps « demain » rappelle le format temporel d’une pièce de théâtre classique :
TOUT VA SE JOUER EN UN SEUL JOUR.
Nous sommes donc le matin.
Dans ce contexte, Dubois est DÉFAITISTE : « je n’attends rien que … »
(et il dira ensuite dans une autre réplique : « moi qui ne suis rien ».
le verbe attendre est encadré par les deux marqueurs de la négation restrictive : « ne …
que »
et débouche sur un sentiment négatif : LA HONTE d’être renvoyé.
C’est sa première objection.
Toute idée d’échec est repoussée par Dubois qui n’argumente pas : IL REJETTE L’OBJECTION et
réplique par une répartie jouant sur l’écho entre « être renvoyé » / « vous vous retournerez » qui
dédramatise la situation.
Cette réplique donne le ton du personnage : Dubois est vif, dynamique, sûr de lui, serein.
Il s’amuse du
ton anxieux de Dorante.
2
Le contraste entre un Dorante tout tremblant et un Dubois conquérant assure le comique de la
scène.
La deuxième objection de Dorante repose sur l’écart social : « Cette femme-ci a un rang dans le
monde ; elle est liée avec tout ce qu’il y a de mieux, veuve d’un mari qui avait une grande charge dans les finances »
les trois arguments sont présentés en gradation croissante : « un rang dans le monde » ; « liée avec tout
ce qu’il y a de mieux » ; « veuve d’un mari qui avait une grande charge dans les finances »
La pensée tactique de Dubois est simple : Dubois compte sur l’effet que produira
l’arrivée d’un homme jeune et beau dans un milieu d’affaires bourgeois comme celui
d’Araminte, régi par les conventions sociales....
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