Fernando Pessõa
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En ce siècle où triomphent sous les feux de la rampe l'indiscrétion et la publicité, il est un homme de génie dont la vie se déroula dans la pénombre et le secret, au point qu'il aurait pu reprendre à Descartes sa devise : Larvatus prodeo (Je vais caché).
Né à Lisbonne en 1888, d'une famille bourgeoise qui comptait dans son ascendance des surgeons de petite noblesse, il est le lieu de rencontre d'influences qui expliquent en partie ce que peut avoir d'explicable sa singularité : un père musicologue qui mourut tuberculeux, une grand-mère folle, un ancêtre israélite qui avait subi en 1706 les rigueurs de la Sainte Inquisition. Laissée veuve alors qu'il avait 5 ans, sa mère ne tarda pas à épouser en secondes noces un personnage consulaire qui se trouvait en poste à Durban. C'est ainsi que le jeune garçon fit ses études primaires et secondaires en Afrique du Sud, où il acquit une connaissance consommée de la langue et de la littérature anglaises.
De retour à Lisbonne à dix-sept ans, s'exprimant plus volontiers en anglais qu'en portugais, il ne quittera plus jamais son pays natal, mais sa curiosité d'esprit le fera toute sa vie réagir positivement aux mouvements artistiques et intellectuels de l'époque : après le symbolisme qui expirait, le futurisme de Marinetti, l'effervescence de l'École de Paris et les éclats du surréalisme naissant. Comme il advient aux plus grands, ses plongées successives dans ce mascaret d'influences laisseront intacte la veine de son originalité et de son classicisme personnel.
Modeste comptable et secrétaire interprète au service de diverses maisons de commerce, il publia de son vivant quelques plaquettes de vers anglais dont le retentissement fut à peu près nul, et, dans sa langue maternelle, l'unique recueil de Message, pour lequel lui fut attribué le dernier jour de l'année 1934 un deuxième prix dans un concours officiel. On aima ce livre pour des raisons étrangères à son essence réelle ; si l'on excepte la ferveur des jeunes écrivains de la revue Presença (lesquels avaient adopté le Français Pierre Hourcade), on peut dire que c'est un inconnu, ou du moins un grand incompris, qui s'éteignit en la personne de Fernando Pessõa le 30 novembre 1935. A quarante-sept ans, laissant à la postérité une grande malle pleine de manuscrits inédits, il quittait le monde des apparences sans avoir résolu pleinement l'énigme de son identité.