Flora Tristan - Le tour de France (Tome 1)
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15 Juin (1844) - Enfin, hier à 8 heures, j'ai quitté Lyon et suis arrivée ce matin à 5 heures à Roanne. - J'ai passé une belle nuit, le ciel était étoilé, l'air frais, je n'ai pas dormi un instant, j'ai savouré le charme de cette belle nuit. J'aime beaucoup la nuit, puis j'étais heureuse, heureuse sous tous les rapports. La mission que je remplis est si belle qu'elle m'émeut moi-même. S'en aller ainsi seule à travers les villes et les villages pour aller prêcher aux pauvres ouvriers la loi nouvelle, Dieu en l'humanité, l'égalité en l'humanité, le bonheur sur la terre. - Mon Dieu, que c'est donc beau ! - Je vais absolument comme Jésus sans me mettre en peine de rien, je pars le cœur plein d'amour, sans savoir où je vais, comment on me recevra, que m'importe ! J'obéis à la voix de Dieu qui parle en moi et je sers mes frères au nom de la loi et de l'amour qui m'anime. - Avec cette pensée on n'a besoin de s'inquiéter de rien et aussi de rien au monde je ne m'inquiète.
Puis j'emportais aussi dans mon cœur une pensée bien douce, la certitude que cette chère enfant Eléonore m'aime en la cause. - Pendant toute la journée d'hier elle avais été sublime de dévouement, de tendresse, bonne et ferme et d'émotions vraies. - Deux fois pendant la journée j'étais arrivée chez elle à l'improviste et je l'avais surprise pleurant. - Pourquoi pleurez-vous ainsi ? - Je ne sais ! La grandeur de votre mission m'émeut malgré moi, lorsque je vous vois agir avec cet amour si grand ! si calme ! si imposant ! - cette puissance si forte et si sûre, j'admire Dieu en vous, je crois pour la première fois à l'existence d'êtres supérieurs, je cherche à comprendre ce qui se passe en vous. - Je suis saisie d'un désir violent de vivre votre vie. - Je sens en moi quelque chose qui me dit : un jour tu en vivras. - Alors j'aspire à cette vie grandiose que j'entrevois à peine. - Je désire, je crains, je souffre et je pleure. - Cette fille est magnifique, elle ne comprend pas encore mais elle sent déjà en elle la vie humanitaire. Elle la désire, elle l'appelle à grands cris. - Je ne sais, mais j'ai dans l'idée que cette jeune femme est destinée à de grandes choses. - Peut-être un jour s'élancera-t-il de cette petite rue sale et sombre (rue Luizerne), de cette boutique étroite et basse une femme du peuple puissante par son amour et sa foi ! rejetant les liens de la famille, de la société, pour se consacrer entièrement au service de l'humanité. - Elle vint m'accompagner jusqu'à la voiture, son émotion l'étouffait. - Chaque fois qu'elle me regardait il s'échappait de ses beaux yeux noirs à l'expression amoureuse et fière des regards d'ineffable amour (…). Le magnétisme de ces regards fut si puissant sur moi que la séparation qui s'opéra entre nos corps ne put le détruire. La voiture partit avec rapidité. Eléonore disparut - mais j'emportai avec moi son regard.
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Flora Tristan
Le tour de France (Tome 1)
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