Francisque Sarcey affirmait: Je suis convaincu qu'un drame excellent doit se pouvoir jouer dans une grange et y réussir, tout aussi bien que sur une grande scène, où s'ajoute pourtant au mérite de l'oeuvre, la séduction du décor et du costume. Expliquez et discutez ?
Extrait du document
«
1.
Le sujet se rapproche des deux précédents en ce sens qu'il nous invite à réfléchir sur l'essence du spectacle
théâtral : cette essence est-elle dans le spectacle (« séduction du décor et du costume ») ou dans ce que Sarcey
appelle d'un mot assez vague « le mérite de l'œuvre »?
2.
Mais il est beaucoup plus large, puisque Sarcey oppose à une décoration tout extérieure le mérite intrinsèque
d'une pièce : la psychologie, l'intrigue et peut-être même le jeu des acteurs, la mise en scène, en excluant
évidemment de cette dernière tout ce qui est lié à une richesse proprement visuelle.
3.
Tel est sans doute le sens du mot « grange », qui ne suggère pas (contresens qui serait assez grossier, mais pas
tout à fait impossible) un spectacle familier pour villageois! La « grange », où effectivement les troupes « comiques
» d'autrefois ont joué plus d'une tragédie, symbolise ici l'absence presque totale de moyens matériels et réduit le
spectacle à une sorte de vision abstraite des rapports entre les personnages, vision que l'auteur veut imposer à des
spectateurs; en somme, elle se rapproche assez fortement de ces représentations de pièces classiques en complet
veston et en robe de ville que l'on a parfois tentées dans des interprétations modernes.
4.
Il semble donc qu'il faudra d'abord comprendre la position de Sarcey et essayer de dégager tout ce qui dans un
drame (ce dernier mot mériterait une petite explication : Sarcey veut dire sans doute « toute œuvre destinée à être
représentée », sans donner au terme le sens étroit que le xviiie siècle, puis le romantisme lui ont conféré) peut
constituer le « mérite » de l'œuvre, indépendamment de la séduction du décor et du costume : finesse de la
psychologie, mouvement de l'intrigue, force théâtrale, art d'imposer les situations, les mots, les coups de théâtre...,
en se gardant évidemment d'une énumération, mais en montrant à chaque fois comment tous ces mérites sont
indépendants d'une somptueuse décoration et se satisferaient « d'une grange » aussi bien que d'une « grande scène
».
De bons exemples pourront être tirés du théâtre contemporain de Sarcey, de celui sur lequel s'exerça sa critique,
notamment du théâtre d'Emile Augier et de celui d'Alexandre Dumas fils.
On n'écartera pas, bien entendu, la tragédie
classique et encore moins le « genre sérieux » du xviiie siècle, mais il semble que Sarcey pense surtout aux pièces à
la fois sociales et psychologiques qui ont fait la transition entre le drame romantique, trop attaché au flamboiement
des décors, et le Théâtre Libre, qui revient, par goût du réalisme, à une certaine primauté de la mise en scène et
qui pense que le décor, « complément indispensable de l'œuvre, doit prendre, au théâtre, la place que la description
tient dans le roman » (Antoine).
Sarcey, normalien de la promotion 1848, se consacre exclusivement à la critique
dramatique entre 1860 et 1900 et applaudit volontiers à la conception traditionnelle, qui continue à voir dans le
théâtre un conflit de passions et d'intérêts plus qu'un spectacle.
Cette tradition traverse à peu près tout le xixe
siècle, de La Dame aux camélias aux œuvres de Porto-Riche ou de Bernstein, sans jamais, du reste, s'opposer
violemment et nettement au drame romantique.
(Il serait assez maladroit d'interpréter le sujet comme une attaque
contre le drame romantique.).
»
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