Friedrich von Schiller
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Friedrich von Schiller
A l'opposé de l'épanouissement organique de la personnalité et de la création de Goethe, entre 1759 et 1805, la vie et l'oeuvre tout
entières de Schiller se développent dans un style dramatico-dialectique.
Ses hérédités souabo-alémaniques sont à l'origine de son
penchant à la spéculation et de son besoin de prêter aux idées générales une forme concrète, en conciliant réflexion et fantaisie.
Né dans
un milieu petit-bourgeois, il y reçoit de sa mère une dévotion piétiste, de son père un sentiment religieux éclairé, visant à la droiture et la
bonne volonté.
Meurtri, dès son jeune âge, par les servitudes de la hiérarchie sociale régnant dans les petits États autoritaires d'alors, il
vécut, sa vie durant, préoccupé par l'idée de la régénération d'un monde corrompu.
Cette tendance, qui devait se libérer très tôt de toute
attache chrétienne, lui fait écrire, alors qu'il est encore élève de l'Académie militaire ducale (1773-1780), la protestation passionnée in
tyrannos qu'est son premier drame, Les Brigands (paru en 1781 et joué à Mannheim en 1782).
L'oeuvre ne s'apparente guère à la poésie
du Sturm und Drang que par le sujet et la forme, non par la substance ; car son héros, Karl Moor, criminel par idéalisme éthique, se
sacrifie de son plein gré à la loi morale, démontrant l'immortalité de l'individualisme radical ad absurdum.
Ayant achevé ses études
médicales, le médecin militaire Schiller publie dans L'Anthologie pour 1782 ses premières pièces lyriques, les Odes à Laure, où s'affirme
une métaphysique poétisée, manifestation de l'amour cosmique empruntée à la tradition néoplatonicienne.
Néanmoins, sa foi dans le
meilleur des mondes est, à plusieurs reprises, troublée par des accès de pessimisme sceptique.
En septembre 1782, Schiller s'enfuit à
Mannheim où il vivra temporairement en qualité de dramaturge du théâtre de la cour, jusqu'au printemps 1785.
La tragédie républicaine
Le Complot de Fiesco à Gênes date de cette époque (paru en 1783, arrangement théâtral, sans fin tragique, représenté en 1784).
La
volonté de puissance incarnée par Fiesco s'y trouve en conflit avec l'idée de liberté politique.
Cependant, la thèse politico-historique y
demeure à peine ébauchée : la foi dans la logique de l'histoire n'a pu vaincre le réalisme sceptique de ces années de lutte et de
souffrance à Mannheim.
La tragédie bourgeoise Amour et cabale (1784) reprend, sur un plan éthico-religieux, l'attaque véhémente contre
la société dépravée, déchirée par la division en classes hostiles.
L'amour entre le noble seigneur et la jeune fille bourgeoise, conçu comme
un "reflet de la puissance divine" et voulu par la prédestination, finit par vaincre, après mainte souffrance et le sacrifice de la vie, la cabale
de cour.
Le drame bourgeois dépasse ici les visées de L'Emilia Galotti de Lessing, du fait qu'il s'attaque au servilisme de la petite
bourgeoisie elle-même.
Le voyage qui le mènera vers le cercle des amis de Christian Gottfried Körner marque l'établissement définitif de Schiller en Allemagne
centrale (Dresde et Leipzig : 1785- 1787 ; Rudolstadt, Iéna, Weimar : 1787-1805).
Par son mariage avec Charlotte von Lengefeld et ses
obligations de professeur d'histoire à l'Université d'Iéna, Schiller s'intègre donc lui-même dans l'ordre social de son temps.
L'étude de
l'histoire mettra fin au subjectivisme de sa jeunesse : Don Carlos date d e 1783, alors même qu'il ne sera représenté, dans une
adaptation scénique de son auteur, qu'en 1787.
Le vers blanc ïambique et le pathos classique du langage seront dorénavant les
caractères typiques du style théâtral de Schiller.
Dans Don Carlos, l'idée politique de la liberté est, une fois de plus, fondée sur le sacrifice
volontaire de l'individu au profit de l'humanité (Marquis Posa).
La conception du monde, telle qu'elle mûrit, à ce moment-là, dans l'esprit
de Schiller, fait une place de plus en plus grande à l'homme considéré sous l'angle de ses attaches et ses devoirs.
Les études historiques
feront naître deux chefs-d'oeuvre : L'Histoire du soulèvement des Provinces Unies (1788) et L'Histoire de la Guerre de Trente Ans (1790).
Là encore, le cours de l'histoire est conçu comme l'effet des lois morales de la raison divine.
La vivacité saisissante du récit trahit le
dramaturge.
La leçon inaugurale de Schiller à Iéna : "Que signifie et pourquoi étudie-t-on l'histoire universelle ?" développe une vraie
théodicée de l'histoire, vue comme un perpétuel progrès vers les sommets de la raison.
Cette conception, proche de Kant, devait encore
s'affirmer après la première lecture systématique de la Critique du jugement, lecture que Schiller fit au moment de sa convalescence,
après une grave maladie.
Il produira, au cours de son "époque philosophique" (1792-1794), son oeuvre philosophique capitale, les
Lettres sur l'éducation esthétique, qui est aussi le sommet de l'esthétique idéaliste et de la philosophie classique de la culture.
La mission
de l'art y est définie, avec un pieux enthousiasme de la manière la plus stricte et la plus concrète : l'art seul a le pouvoir, en harmonisant
raison et imagination, de faire de l'homme un être complet.
Schiller s'insurge par là contre l'idéologie de la Révolution française et contre
l'état "naturel" de Rousseau, auquel il oppose un état esthétique.
C'est en juillet 1794 que sera conclue l'alliance spirituelle avec Goethe.
Schiller développera encore sa philosophie du tragique,
conjointement avec son enseignement du sublime, dans une série d'écrits (Sur l'art tragique, Sur le sublime et d'autres), avant de revenir,
en 1796, à la création poétique et d'écrire Wallenstein (1798-1799, paru en 1800), le chef-d'oeuvre de son époque classique et le
prototype de la tragédie classique allemande.
Le Ve acte de la Mort de Wallenstein représente le sommet de toute l'oeuvre dramatique de
Schiller.
Il prouve qu'au moment où il fut écrit, la foi de son auteur dans l'action perpétuelle d'une raison historique s'était troublée.
En
opposant la tragédie du noble libertaire idéaliste Piccolomini à celle du grand réaliste Wallenstein l'un broyant l'autre, dans la marche
inexorable de la fatalité Schiller illustre le double aspect de sa propre personnalité, partagée entre la pure vertu et l'amorale puissance de
la volonté.
Suivront rapidement les autres chefs-d'oeuvre de la deuxième époque principale : Marie Stuart (1801), La Pucelle d'Orléans
(1801-1802), La Fiancée de Messine (1803) et Guillaume Tell (1804) ; autant de sujets où s'affirment les forces de la raison éthique de
l'histoire.
Seule, La Fiancée de Messine se passe à un moment historique indéterminé.
A deux reprises, l'architecture sévère de la forme
dramatique classique se desserre : dans la "tragédie romantique" de La Pucelle et dans Guillaume Tell, ici par des intermèdes musicaux
lyriques, là par les moyens du théâtre épique.
Dans La Pucelle, Schiller est sous l'influence de l'idée nationale allemande, placée, elle
aussi, sur un fondement éthico-religieux.
Dans ses pièces de pur style classique, il se rapproche de la forme des tragédies françaises,
dont il a traduit Phèdre, en même temps qu'il écrivait une adaptation de Macbeth.
La poésie lyrique, très pénétrée de philosophie du
Schiller classique, est apparue, pour la première fois, dans les Poésies (1801-1803) ; ses réussites les plus complètes sont Les Artistes,
les Idéaux, d'Idéal et la Vie, La Promenade et, parmi les ballades, Les Grues d'Ibycos.
Émule du Goethe épique, Schiller, poète lyrique,
s'efforce de donner au monde des idées une réalité palpable dans l'expression poétique.
Mais il impose même au réalisme de ses
évocations du quotidien bourgeois (Chant de la cloche) une architecture classique équilibrée.
Peu de mois avant sa mort, Schiller s'est attaqué à un thème dramatique russe, Demetrius, dont il ne put achever, à peu près, qu'un acte
et demi.
Plus que jamais auparavant, la forme dramatique y tend vers l'épique.
Une nouvelle crise de l'idéalisme éthique s'y annonce,
mais une conception radicalement nouvelle du tragique et de la forme théâtrale n'y sont pas encore perceptibles.
L'idéalisme éthique et
un nouveau réalisme, qui présage Kleist, s'y opposent en un combat indécis.
Ainsi, peu avant la fatale maladie, dont, de longues années
durant, il avait héroïquement combattu les progrès, le poète du Demetrius a fait à nouveau l'aveu de sa double nature, éthique et
sensuelle, de même que de son insatiable besoin de développement moral, de sa capacité d'évolution, auxquels ne devait mettre fin que
sa mort trop précoce..
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