G. de NERVAL, Le Voyage en Orient (1851), [Introduction : vers l'Orient, extraits des chapitres XII et XVI].
Extrait du document
«
Dans ce texte, peuplé de souvenirs mythologiques et inondé de lumière, Gérard de Nerval nous transporte dans un
monde fabuleux, riche en couleurs, et qui nous paraît à la limite du rêve et de la réalité.
Et nous nous laissons gagner
par l'enthousiasme, par l'exaltation fébrile de l'auteur pour découvrir avec lui ce que cache ce mot enchanteur, l'Orient,
pays du soleil et dans ces lignes il nous semble entendre les accents d'une musique étrange et langoureuse, surgie du
fond des âges.
Dès la première ligne, l'auteur attache notre attention sur un point lointain, encore invisible à nos yeux « Au-delà de
cette mer », et c'est d'un même élan que nous tournons nos regards avec Corinne vers l'horizon.
« Il y a la Grèce...
»,
ces mots en fin de phrase et qui semblent avoir été retenus pour créer une impression de 'mystère encore plus forte,
ouvrent les portes de notre imagination.
Ils doivent être prononcés dans un souffle, en chuchotant, comme s'ils
reflétaient quelque chose de sacré, afin que leur puissante valeur évocatrice en soit encore renforcée.
En effet, «
Cette idée suffit à nous émouvoir ».
Ensuite Gérard de Nerval va laisser libre cours à cette joie qu'il peut si mal
contenir : « Et moi, plus heureux que..., plus heureux que...
».
Il veut nous montrer qu'il n'est pas le seul à être
sensible aux charmes de la Grèce ; il y a eu dans l'histoire ce Winckelmann et aussi Anacréon, mais il nous semble que
personne n'a encore éprouvé un bonheur si pur et si fort, rien qu'en entendant prononcer son nom.
La sincérité, la
puissance de ses sentiments se remarquent dans ces mots : « J'allais la voir enfin.
» Ces paroles semblent le soulager,
lui faire du bien, et c'est à ce moment qu'il va nous faire part de son aventure vécue, et nous tracer ses souvenirs.
Et
le passé va surgir enfin, de la même façon que cette terre est sortie des eaux, aussi merveilleux et aussi lumineux.
Il a hâte de nous faire partager ses impressions, il se laisse emporter par son enthousiasme.
Ce monde qui pourrait
nous paraître tout d'abord irréel, parce que trop lointain et trop beau, eh bien, il existe.
Et c'est ce que Gérard de
Nerval veut nous prouver.
Son intention est marquée par la répétition des mots : « Je l'ai vue ainsi, je l'ai vue ! » Par
son insistance, il nous montre qu'il n'a pas été déçu et qu'il veut nous rendre sensibles à l'enchantement de cet
instant.
Et nous sommes profondément gagnés par cette atmosphère enchanteresse en écoutant les sons si purs, si
délicats et si frais de ces mots : « l'Aurore aux doigts de rose ».
Ainsi, les réminiscences d'Homère, annoncent la
communion de ces souvenirs personnels et mythologiques.
Nous aussi avons su goûter la saveur du style très
caractéristique de ce poète antique.
Et cette phrase nous rappelle certaines tournures toutes aussi belles et
pittoresques comme : « la déesse aux yeux brillants », ou encore : « elle versa sur lui la grâce des Dieux » et « sur la
mer huileuse ».
Nous voilà plongés dans le merveilleux et le fantastique, où le monde réel et le monde des légendes
antiques semblent se confondre.
L'auteur a exercé une sorte de fascination sur nous et c'est d'une même impatience
fiévreuse que nous allons « ouvrir les portes de l'Orient » ! Mais ce monde est unique, indigne d'être comparé avec
d'autres.
Tout est pureté, lumière.
La main de l'homme n'a aucun droit sur cet univers qui est aux yeux de l'écrivain un
lieu sacré où toutes traces humaines représenteraient un sacrilège.
C'est ce qu'il veut nous faire entendre par des
mots tels que : « Et ne parlons plus...
», « nous autres barbares », « pâle reflet terni », « atmosphère impure ».
Devant ce spectacle si grand, si noble et si poignant, il nous faut tout oublier pour en apprécier toutes les beautés
dans leurs moindres détails, et pour en ressentir profondément et pleinement toutes les sensations qu'il nous procure.
Et c'est dans un style très spontané, allant peu à peu à la confidence, que l'auteur va nous faire part de ses
sentiments : « Voyez déjà...
», « Ne dirait-on pas que.., ? » Le souffle de son enthousiasme et de son admiration
balaye les mots mêmes, tels que « ligne ardente », « s'élargit », « rayons épanouis en gerbe », « ravivant ».
Son âme
n'est plus qu'un feu dévorant qui pétille et qui éclate, et dont la chaleur nous gagne peu à peu.
La ligne suivante a
toute la beauté et la sonorité d'un vers.
En effet, quelle magie sort de ces mots aux images si fabuleuses et si
puissantes ! « le front d'une déesse et ses bras étendus », « le voile des nuits étincelant d'étoiles ».
Gérard de Nerval
en subit si fortement le charme qu'il semble se détacher des éléments terrestres et entrer en un état fiévreux à la
limite du rêve et du délire.
Son esprit s'est &levé, comme captivé par cette vision, aux choses les plus divines.
Abandonnant ses écorces charnelles et humaines, son être semble, dans un moment aussi fugitif qu'inoubliable,
communier et fusionner intensément dans cet autre monde qui nous dépasse, et dont nous sentons parfois la
domination et la profonde influence.
Cette élévation irrésistible et insensible se traduit par la gradation des mots
comme « Elle vient, elle approche, elle glisse ».
Cette hallucination mythologique semble ravir et bercer tous les sens
de l'auteur.
Nous sommes aussi pris par la douceur, la légèreté des sons sifflants et doux que produisent les
consonnes, tels que les « f », « ss », et « v » dans ces mots : « elle glisse amoureusement sur les flots divins », et qui
renforcent encore l'impression d'irréalité, d'une image impalpable et floue.
Mais l'auteur semble brusquement se réveiller et avoir pris conscience qu'il délirait.
Un instant emporté et subjugué par
son imagination, il paraît être revenu aux choses terrestres.
Ce réveil soudain est traduit par les mots : « Mais que disje ? »
Bercé et transporté par son rêve, il semble, devant la proche réalité de sa réalisation, comme pris au piège et un peu
apeuré.
Une émotion vive l'étouffe, lui coupe la respiration au point qu'il perd l'usage de la parole ; les phrases
coupées, hachées et brèves comme : « devant nous...
», « là-bas...
», « à l'horizon...
», « cette côte vermeille, ces
collines empourprées...
», traduisent son profond bouleversement.
Nous entendons comme un halètement.
Mais le
rythme saccadé et allant s'accélérant se termine par un mouvement ample et lent, empreint d'une note majestueuse et
les derniers mots résonnent comme une délivrance, un cri de triomphe vibrant de force et de sincérité : « C'est l'île
même de Vénus, c'est l'antique Cythère aux rochers de porphyre ! »
Ainsi, à travers ces lignes, nous avons pu découvrir et apprécier le génie créateur de Gérard de Nerval.
Son imagination
puissante et fiévreuse, alliant la réalité et les rêves mythologiques, nous a procuré des sensations étranges et
inoubliables.
Il a exercé une sorte de fascination par la force de ces images, par la magie du rythme et des sonorités
troublantes et mystérieuses de ses mots.
Enfin il a su nous faire partager au même moment les mêmes sensations
grâce à l'aisance et à la souplesse de son style s'harmonisant aussi facilement qu'une musique à toutes les vibrations
et les émotions de son être..
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