Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan
Extrait du document
«
M'aimes-tu ? » dit-elle tout à coup d'une voix où la plainte se faisait étrangement grave et dure.
Puis elle ajouta aussitôt :
Je te demande ça à cause d'une idée que j'ai dans la tête.
Quelle idée ?
M'aimes-tu ? » reprit-elle soudain de la même voix.
En même temps, elle se levait, toute vibrante, ridiculement
nue dans son manteau entrouvert, nue et menue, et dans les yeux ce même regard d'où l'orgueil était tombé.
...
Réponds-moi ? dit-elle encore, réponds-moi vite !
Voyons...
Germaine...
Rien de ça ! s'écria-t-elle...
Pas de ça ! Dis-moi seulement ; je t'aime !...
oui...
Comme ça ! »
Elle renversait la tête, et fermait les yeux.
Entre les lèvres tremblantes, il voyait les dures dents blanches, et l'haleine
y faisait un léger sifflement, encore perceptible, dans le silence.
Hé bien quoi ? fit-elle, c'est tout ? Tu n'oses pas dire ! » Elle se laissa glisser à ses pieds et réfléchit une minute,
le menton dans ses deux mains jointes...
Puis elle leva vers lui, de nouveau, ses yeux pleins de ruse.
...
Va...
va...
va toujours, dit-elle en hochant la tête...
Je sais que tu me hais...
Moins que moi ! » fit-elle encore
gravement.
Et elle ajouta aussitôt :
Seulement, toi...
tu ne sais même pas ce que c'est.
Ce que c'est, quoi ?
Haïr et mépriser », dit-elle.
Alors elle commença de parler avec une volubilité extrême, comme elle faisait chaque fois qu'un mot jeté au hasard
réveillait au fond
d'elle-même ce désir élémentaire, non pas la joie ou le tourment de cette petite âme obscure, mais cette âme même.
Et dans la vibration de ce corps frêle et déjà réfléchi sous son éclatant linceul de chair, dans le rythme inconscient des
mains ouvertes et refermées, dans l'élan retenu des épaules et des hanches infatigables, respirait quelque chose de la
majesté des bêtes.
« Vraiment ? tu n'as jamais senti...
comment dire ? Cela vous vient comme une idée...
comme un vertige...
de se
laisser tomber, glisser...
d'aller jusqu'en bas — tout à fait — jusqu'au fond — où le mépris des imbéciles n'irait même
pas vous chercher...
Et puis, mon vieux, là encore, rien ne vous contente...
quelque chose vous manque encore...
Ah !
Jadis...
que j'avais peur ! — d'une parole...
d'un regard...
de rien.
Tiens ! cette vieille dame Sangnier...
(mais si ! tu la connais : c'est la voisine de M.
Rageot)...
m'a-t-elle fait du mal,
un jour ! — un jour que je passais sur le pont de Planques — en écartant de moi, bien vite, sa petite nièce Laure...
«
Hé quoi ! suis-je donc la peste ? », je me disais...
Ah ! maintenant ! maintenant...
maintenant...
maintenant..., son
mépris ; je voudrais aller au-devant ! »
Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan, Plon.
SUJET
Vous donnerez de ce texte un commentaire composé en vous attachant particulièrement au personnage de
Germaine (la jeune fille).
PLAN DETAILLE INTRODUCTION REDIGEE
Dans une chambre, une femme parle, un homme se tait, et le silence de l'un donne à l'autre la volubilité du vertige
et de la déception : « Après l'amour vient une étrange tristesse », écrivait Spinoza, cette tristesse-là
transformera Germaine, l'héroïne de Georges Bernanos, de victime en victimaire, en lui découvrant cette soif du
Mal qui la conduira du meurtre au suicide.
A partir d'une situation banale, dont la trivialité a même quelque chose
de provoquant — leur étreinte défaite, un homme et une femme prennent conscience qu'ils ne se comprennent
pas —, Bernanos
a créé une scène forte où à travers ses métamorphoses le personnage de Germaine nous dévoile une nature perverse
parce que polymorphe et l'extrême solitude dans laquelle elle se débat.
Pourtant, le dialogue ne tourne pas au
monologue, car le silence de l'homme pourra permettre au romancier de se glisser à son tour dans le récit.
I.
LES METAMORPHOSES DE GERMAINE
1.
L'espace et le temps
Germaine nous est présentée en mouvements.
Elle bouge beaucoup (nombreux verbes de mouvement), et le.
»
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