Georges Duhamel écrivait à propos du cinéma, dans les « Scènes de la Vie Future », ces lignes sévères : « c'est un divertissement d'ilotes, un passe-temps d'illettrés, de créatures misérables, ahuries par leurs besognes et leurs soucis. » Partagez-vous cette opinion ?
Extrait du document
«
INTRODUCTION : Le cinéma n'a pas été d''emblée considéré comme un art.
Les milieux cultivés sont restés
longtemps méfiants en face de ce divertissement nouveau et le sont encore ; Duhamel se fait, dans les Scènes de
la Vie Future, l'écho de cette hostilité.
I.
UN DIVERTISSEMENT D'ILOTES
Entre les deux guerres on parle beaucoup du « ciné » dans la chanson de café-concert.
Il ne s'agit encore, s'il faut
en croire les chansonniers, que d'une distraction facile, recherchée le samedi soir ou le dimanche par une foule
qu'elle avilit.
1° Un spectateur passif.
Les images se succèdent sur l'écran et l'on ne peut à aucun moment revenir sur ce qui
précède, comme on ferait devant un livre.
L'esprit est si vite absorbé par ce rythme visuel qu'il oublie de réagir, de
critiquer.
Le spectacle ne demande aucun effort et n'enrichit ni l'intelligence ni la volonté.
2° Une mythologie malsaine.
Autour du cinéma se sont créées les idoles nouvelles, acteurs et actrices.
On a parlé
avec raison de mythes à propos de Greta Garbo, de James Dean, de Brigitte Bardot.
Une partie du public se laisse
fasciner par l'éclat artificiel d'êtres qu'il envie et auxquels il voudrait s'assimiler.
D'autres mythes se créent dans les films eux-mêmes.
Les surhommes, dont James Bond est une incarnation, offrent
l'image de la violence ou de l'érotisme.
La vogue du film policier a succédé à celle du western, mais ces productions
ont pour effet commun d'exalter les bas instincts du public.
Les statistiques montrent à quel point la masse des films
justifie la critique de Duhamel.
Mais une minorité active de cinéastes tente de créer autre chose qu'une drogue
dominicale.
II.
UN DIVERTISSEMENT DE CHOIX
Le cinéma a conquis ses lettres de noblesse.
L'université l'admet, l'utilise et même en fait un sujet d'étude.
1 ° Le cinéma documentaire.
Il attire un public nombreux curieux de géographie et de sciences qui se presse aux
films d'Haroun Tazieff, du commandant Cousteau.
La création artistique est évoquée aussi, comme en témoignent
les films sur Breughel, Van Gogh, Picasso...
Le sport a fait naître une oeuvre tonique retraçant les Jeux Olympiques
de Tokyo.
L'homme apparaît constamment dans sa diversité ethnique ou sociale : le cinéma-vérité de Chris Marker
en est l'illustration.
2° Le cinéma littéraire.
On a porté à l'écran des oeuvres théâtrales comme le Bourgeois Gentilhomme et le Mariage
de Figaro, joués par les acteurs de la Comédie Française.
Ces pièces y gagnent parfois des résonances nouvelles :
le Dom Juan de Molière, tourné pour la télévision, prenait un ton shakespearien.
On a également adapté des
ouvrages romanesques.
Le procédé sans ' doute est discutable, mais le Rouge et le Noir d'Autant-Lara a
certainement amené de nombreux lecteurs à Stendhal.
3° L'humanisme cinématographique.
Les grands problèmes humains trouvent leur expression au cinéma et y attirent
le public : problèmes de la guerre (Quand passent les cigognes), de l'amour (Un homme et une femme), de la religion
et de la métaphysique (oeuvres de Bresson, de Bergmann).
Les problèmes sociaux sont aussi évoqués : la misère
dans les films du néo-réalisme et notamment dans la Strada de Fellini, la justice et ses imperfections dans les films
de Cayatte.
Dans ce domaine pourtant le cinéma ne fait qu'illustrer et élargir les thèmes traités dans les livres.
Ne peut-il être un
art en lui-même ?
III.
UN ART ORIGINAL
Duhamel fonde sa critique sur la vision de spectacles commerciaux.
Mais de véritables artistes ont trouvé leur voie
au cinéma.
1° II est intégré aux mouvements artistiques.
Le Surréalisme s'y est exprimé, comme en littérature, en peinture, en
sculpture.
Le Chien Andalou de Buñuel en est le témoignage.
Des poètes en ont fait leur instrument d'expression,
tels Prévert et Cocteau (Le sang d'un Poète, Orphée).
2° II possède un langage original.
Duhamel affirme n'avoir aucun effort à accomplir au cinéma.
Sans sombrer dans un
certain snobisme de la technique, nous devons admettre que les images ont leur sens propre et qu'on peut analyser
un film bien fait, par la succession de ses plans.
Chaque metteur en scène a d'ailleurs son style personnel qu'on
retrouve d'une oeuvre à l'autre, comme chez les romanciers ou les poètes : Bergmann, Antonioni, Buñuel
manifestent une vigoureuse originalité.
3° II est riche de signification.
L'émotion esthétique suscitée par une oeuvre cinématographique peut être plus
profonde que toute autre à cause de la force des images.
Il suffit d'évoquer à titre d'exemples la fusillade des
escaliers dans le Cuirassé Potemkine d'Eisenstein ou la marche des travailleurs dans le Métropolis de Fritz Lang.
Les
silhouettes qui se détachent sur des murs blancs dans les films d'Antonioni prennent un relief saisissant.
Une synthèse de la condition humaine se dégage des images symboliques (les personnages perdus dans le paysage
comme dans Jules et Jim de Truffaut ) et des retours en arrière (Les Fraises sauvages de Bergmann).
L'utilisation du mouvement, élément essentiel de la vie, permet aussi d'extraire du réel toute sa portée.
CONCLUSION : Le cinéma n'est pas encore placé au même rang que les arts nobles, le théâtre ou la musique, qu'il
utilise pourtant parfois en les dépassant.
Son évolution devrait lui permettre d'enrichir les spectateurs au lieu de les
abêtir..
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