Georges RODENBACH (1855-1898) (Recueil : La jeunesse blanche) - Vieux quais
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Georges RODENBACH (1855-1898) (Recueil : La jeunesse blanche) - Vieux quais Il est une heure exquise à l'approche des soirs, Quand le ciel est empli de processions roses Qui s'en vont effeuillant des âmes et des roses Et balançant dans l'air des parfums d'encensoirs. Alors tout s'avivant sous les lueurs décrues Du couchant dont s'éteint peu à peu la rougeur, Un charme se révèle aux yeux las du songeur : Le charme des vieux murs au fond des vieilles rues. Façades en relief, vitraux coloriés, Bandes d'Amours captifs dans le deuil des cartouches, Femmes dont la poussière a défleuri les bouches, Fleurs de pierre égayant les murs historiés. Le gothique noirci des pignons se décalque En escaliers de crêpe au fil dormant de l'eau, Et la lune se lève au milieu d'un halo Comme une lampe d'or sur un grand catafalque. Oh ! les vieux quais dormants dans le soir solennel, Sentant passer soudain sur leurs faces de pierre Les baisers et l'adieu glacé de la rivière Qui s'en va tout là-bas sous les ponts en tunnel. Oh !les canaux bleuis à l'heure où l'on allume Les lanternes, canaux regardés des amants Qui devant l'eau qui passe échangent des serments En entendant gémir des cloches dans la brume. Tout agonise et tout se tait : on n'entend plus Qu'un très mélancolique air de flûte qui pleure, Seul, dans quelque invisible et noirâtre demeure Où le joueur s'accoude aux châssis vermoulus ! Et l'on devine au loin le musicien sombre, Pauvre, morne, qui joue au bord croulant des toits ; La tristesse du soir a passé dans ses doigts, Et dans sa flûte à trous il fait chanter de l'ombre.
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