Giono, Voyage en Italie.
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Giono, Voyage en Italie.
A Padoue, il y a Giotto. Je le vois avec plaisir. Je n'entends rien à la peinture (on s'en sera aperçu) comme d'ailleurs la plupart des gens qui ne l'avouent pas. Je cherche des sensations. Dans ce cas-là, l'appareil de connaissance n'est pas un instrument stable comme l'intelligence, il est soumis à des
contingences diverses : s'il fait chaud , s'il fait froid, si tout va bien, si je suis de belle humeur, ou si tout va mal et si je ronge quelque frein. La très détestable peinture me donne parfois de grandes joies ; l'excellente, il arrive très souvent que je n'en vois pas l'excellence. J'aime par exemple les accords
de bleu et de vert, comme on aime les choux-fleurs ou les asperges. Si, à point nommé, je trouve cet accord chez Tartempion, me voilà content.
Devant les murs de la chapelle des Scrovegni, j'ai le plaisir que j'ai déjà eu quelquefois devant les vitres d'un bel aquarium. Les couleurs, quoique ici immobiles, jouent les unes par rapport aux autres de la même
façon que si elles étaient noyées et mouvantes. Je pense notamment à l'ange qui apparaît à sainte Anne et est représenté en train de plonger par la lucarne vers le corail d'un coffre d'une tunique et d'une auréole. Le rêve de saint Joachim avec ses rochers arides me donne également une sensation de liquide, peut-être à cause également de l'ange qui émerge du ciel bleu comme un thon de la mer. Pour l'entrée du Christ à Jérusalem, cela tient uniquement aux couleurs : le groupe qui suit le Christ a tout entier la couleur que
découvrent les ouïes d'une dorade qui respire et l'admirable morceau de peinture du groupe vers lequel le Christ s'avance me fait penser à l'écaille des truites saumonées. Un visage toutefois (il y en a sûrement cent autres) celui de l'homme (au fait je ne sais pas : il est androgyne) en rouge, à gauche du mariage de la Vierge, n'appartient pas à la mer et aux mystères de l'océan, mais à la terre, autrement dit ici-bas. J'oubliais : le ciel du retour de Joseph du temple, exactement le ciel que j'ai vu au-dessus du Piémont au début de mon voyage.
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