Devoir de Français

GIRAUDOUX - La Guerre de Troie n'aura pas lieu - Acte 1

Extrait du document

[Giraudoux situe l'action de La Guerre de Troie n'aura pas lieu, juste avant la déclaration de guerre. Hector, revenant d'une campagne qu'il souhaite être la dernière, essaie d'éviter que les Grecs et les Troyens se battent à cause d'Hélène : il a convaincu peu à peu son entourage de la nécessité où l'on se trouve de restituer la jeune femme à son mari. Reste à persuader l'intéressée elle-même : c'est le sujet de la scène présente.] Hector. — Choisissez-vous le départ, oui ou non ? Hélène. — Ne me brusquez pas... Je choisis les événements comme je choisis les objets et les hommes. Je choisis ceux qui ne sont pas pour moi des ombres. Je choisis ceux que je vois. Hector. — Je sais, vous l'avez dit : ceux que vous voyez colorés. Et vous ne vous voyez pas rentrant dans quelques jours au palais de Ménélas ? Hélène. — Non. Difficilement. Hector. — On peut habiller votre mari très brillant pour ce retour. Hélène. — Toute la pourpre de toutes les coquilles ne me le rendrait pas visible. Hector. — Voici ta concurrente, Cassandre. Celle-là aussi lit l'avenir. Hélène. — Je ne lis pas l'avenir. Mais, dans cet avenir, je vois des scènes colorées, d'autres ternes. Jusqu'ici ce sont toujours les scènes colorées qui ont eu lieu. Hector. — Nous allons vous remettre aux Grecs en plein midi, sur le sable aveuglant, entre la mer violette et le mur ocre. Nous serons tous en cuirasse d'or à jupe rouge, et entre mon étalon blanc et la jument noire de Priam, mes soeurs en peplum vert vous remettrons nue à l'ambassadeur grec, dont je devine, au-dessus du casque d'argent, le plumet amarante. Vous voyez cela, je pense ? Hélène. — Non, du tout. C'est tout sombre. Hector. — Vous vous moquez de moi, n'est-ce-pas ? Hélène. — Me moquer, pourquoi ? Allons ! Partons, si vous voulez ! Allons nous préparer pour ma remise aux Grecs. Nous verrons bien. Hector. — Vous doutez-vous que vous insultez l'humanité, ou est-ce inconscient ? Hélène. — J'insulte quoi ? Hector. — Vous doutez-vous que votre album de chromos est la dérision du monde ? Alors que tous ici nous nous battons, nous nous sacrifions pour fabriquer une heure qui soit à nous, vous êtes là à feuilleter vos gravures prêtes de toute éternité !... Qu'avez-vous ? A laquelle vous arrêtez-vous avec ces yeux aveugles ? A celle sans doute où vous êtes sur ce même rempart, contemplant la bataille ? Vous la voyez, la bataille ? Hélène. — Oui. Hector. — Et la ville s'effondre ou brûle, n'est-ce pas ? Hélène. — Oui. C'est rouge vif. Hector. — Et Paris ? Vous voyez le cadavre de Paris traîné derrière un char ? Hélène. — Ah ! vous croyez que c'est Paris ? Je vois en effet un morceau d'aurore qui roule dans la poussière. Un diamant à sa main étincelle... Mais oui !... Je reconnais souvent mal les visages, mais toujours les bijoux. C'est bien sa bague. Hector. — Parfait... Je n'ose vous questionner sur Andromaque et sur moi... sur le groupe Andromaque-Hector... Vous le voyez ! Ne niez pas. Comment le voyez-vous ? Heureux, vieilli, luisant ? Hélène. — Je n'essaye pas de le voir. Hector. — Et le groupe Andromaque pleurant sur le corps d'Hector, il luit ? Hélène. — Vous savez, je peux très bien voir luisant, extraornairement luisant, et qu'il n'arrive rien. Personne n'est infaillible. Hector. — N'insistez pas. Je comprends... Il y a un fils entre la mère qui pleure et le père étendu ? Hélène. — Oui... Il joue avec les cheveux emmêlés du père... Il est charmant. Hector. — Et elles sont au fond de vos yeux ces scènes ? On peut les y voir ? Hélène. — Je ne sais pas. Regardez. Hector. — Plus rien ! Plus rien que la cendre de tous ces incendies, l'émeraude et l'or en poudre ! Qu'elle est pure, la lentille du monde ! Ce ne sont pourtant pas les pleurs qui doivent la laver... Tu pleurerais, si on allait te tuer, Hélène ! Hélène. — Je ne sais pas. Mais je crierais. Et je sens que je vais crier, si vous continuez .ainsi, Hector... Je vais crier. Hector. — Tu repartiras ce soir pour la Grèce, Hélène, ou je te tue. Hélène. — Mais je veux bien partir ! Je suis prête à partir. Je vous répète seulement que je ne peux arriver à rien distinguer du navire qui m'emportera. Je ne vois scintiller ni la ferrure du mât de misaine, ni l'anneau du nez du capitaine, ni le blanc de l'oeil du mousse. GIRAUDOUX 45 Hector. — Tu rentreras sur une mer grise, sous un soleil gris. Mais il nous faut la paix. Jean Giraudoux, La Guerre de Troie n'aura pas lieu, Grasset. Comment Giraudoux met-il en valeur dans cette scène l'impuissance humaine devant le destin ? Dans quelle mesure parvient-il à masquer sous la grâce poétique le drame pathétique qui se joue entre Hector et Hélène ? COMMENTAIRE PROPOSÉ INTRODUCTION Hector, dans cette scène, poursuit l'action qu'il a entreprise contre la guerre. Après avoir réduit toutes les autres oppositions, il essaie de convaincre Hélène de rejoindre son mari. Mais, comme le fait supposer le titre paradoxal de la pièce, ses efforts demeureront vains : sous une apparence parfois légère, la scène est vraiment tragique, chaque personnage se heurtant aux décrets d'un destin qui va déclencher des catastrophes ; une poésie gracieuse masque mal le désespoir latent qui se dégage de ces lignes.

« [Giraudoux situe l'action de La Guerre de Troie n'aura pas lieu, juste avant la déclaration de guerre.

Hector, revenant d'une campagne qu'il souhaite être la dernière, essaie d'éviter que les Grecs et les Troyens se battent à cause d'Hélène : il a convaincu peu à peu son entourage de la nécessité où l'on se trouve de restituer la jeune femme à son mari.

Reste à persuader l'intéressée elle-même : c'est le sujet de la scène présente.] Hector.

— Choisissez-vous le départ, oui ou non ? Hélène.

— Ne me brusquez pas...

Je choisis les événements comme je choisis les objets et les hommes.

Je choisis ceux qui ne sont pas pour moi des ombres.

Je choisis ceux que je vois. Hector.

— Je sais, vous l'avez dit : ceux que vous voyez colorés.

Et vous ne vous voyez pas rentrant dans quelques jours au palais de Ménélas ? Hélène.

— Non.

Difficilement. Hector.

— On peut habiller votre mari très brillant pour ce retour. Hélène.

— Toute la pourpre de toutes les coquilles ne me le rendrait pas visible. Hector.

— Voici ta concurrente, Cassandre.

Celle-là aussi lit l'avenir. Hélène.

— Je ne lis pas l'avenir.

Mais, dans cet avenir, je vois des scènes colorées, d'autres ternes.

Jusqu'ici ce sont toujours les scènes colorées qui ont eu lieu. Hector.

— Nous allons vous remettre aux Grecs en plein midi, sur le sable aveuglant, entre la mer violette et le mur ocre.

Nous serons tous en cuirasse d'or à jupe rouge, et entre mon étalon blanc et la jument noire de Priam, mes sœurs en peplum vert vous remettrons nue à l'ambassadeur grec, dont je devine, au-dessus du casque d'argent, le plumet amarante.

Vous voyez cela, je pense ? Hélène.

— Non, du tout.

C'est tout sombre. Hector.

— Vous vous moquez de moi, n'est-ce-pas ? Hélène.

— Me moquer, pourquoi ? Allons ! Partons, si vous voulez ! Allons nous préparer pour ma remise aux Grecs. Nous verrons bien. Hector.

— Vous doutez-vous que vous insultez l'humanité, ou est-ce inconscient ? Hélène.

— J'insulte quoi ? Hector.

— Vous doutez-vous que votre album de chromos est la dérision du monde ? Alors que tous ici nous nous battons, nous nous sacrifions pour fabriquer une heure qui soit à nous, vous êtes là à feuilleter vos gravures prêtes de toute éternité !...

Qu'avez-vous ? A laquelle vous arrêtez-vous avec ces yeux aveugles ? A celle sans doute où vous êtes sur ce même rempart, contemplant la bataille ? Vous la voyez, la bataille ? Hélène.

— Oui. Hector.

— Et la ville s'effondre ou brûle, n'est-ce pas ? Hélène.

— Oui.

C'est rouge vif. Hector.

— Et Paris ? Vous voyez le cadavre de Paris traîné derrière un char ? Hélène.

— Ah ! vous croyez que c'est Paris ? Je vois en effet un morceau d'aurore qui roule dans la poussière.

Un diamant à sa main étincelle...

Mais oui !...

Je reconnais souvent mal les visages, mais toujours les bijoux.

C'est bien sa bague. Hector.

— Parfait...

Je n'ose vous questionner sur Andromaque et sur moi...

sur le groupe Andromaque-Hector... Vous le voyez ! Ne niez pas.

Comment le voyez-vous ? Heureux, vieilli, luisant ? Hélène.

— Je n'essaye pas de le voir. Hector.

— Et le groupe Andromaque pleurant sur le corps d'Hector, il luit ? Hélène.

— Vous savez, je peux très bien voir luisant, extraornairement luisant, et qu'il n'arrive rien.

Personne n'est infaillible. Hector.

— N'insistez pas.

Je comprends...

Il y a un fils entre la mère qui pleure et le père étendu ? Hélène.

— Oui...

Il joue avec les cheveux emmêlés du père...

Il est charmant. Hector.

— Et elles sont au fond de vos yeux ces scènes ? On peut les y voir ? Hélène.

— Je ne sais pas.

Regardez.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles