Giuseppe Ungaretti
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Giuseppe Ungaretti
“ L‘auteur n'a pas d'autre ambition (et il croit que les grands poètes non plus n'en ont pas d'autre) que de laisser de soi une belle biographie.
” C 'est en ces
termes qu'Ungaretti présentait en 1931 la réédition de l'A llegria écrit entre 1914 et 1919.
On ne peut mieux marquer quels rapports s'établissent entre la
vie et l'œuvre d'un artiste.
Loin que son œuvre raconte les accidents de son existence, traduise ses expériences quotidiennes, c'est la préoccupation
constante de son art qui modifie sa façon de vivre, les événements de sa conscience ; bref, ce qui lui arrive.
Il vit comme il crée.
Et Ungaretti ajoute : “ Ses
poèmes représentent donc ses tourments formels.
Mais il voudrait bien que l'on reconnaisse une bonne fois que la forme ne le tourmente que parce qu'il
l'exige cohérente aux modifications de son âme ; et si, comme artiste, il a fait quelques progrès, il aimerait qu'ils indiquassent également que s'y accomplît
quelque amélioration de l'homme.
Il est devenu un homme mûr au milieu d'événements extraordinaires auxquels il n'est jamais demeuré étranger.
Sans
renier la nécessité d'universalité de la poésie, il a toujours pensé que, pour se laisser imaginer, l'universel devait s'accorder, par un sentiment actif de
l'histoire, avec la voix singulière du poète.
”
Poète, cela veut dire que l'homme peut aussi appliquer au monde une forme particulière d'attention, un outil de connaissance différent de la raison commune,
et qui est l'imaginaire.
Mais un imaginaire qui fait de l'imagination une maîtresse de vérité, un instrument de pénétration d'une réalité cachée, un mode de
découverte, un moyen de tirer de la confusion du monde une évidence éclatante.
De la solitude de la jeunesse, de l'exil dans la ville de Milan, de ses études,
de l'amour de la maison, de l'ennui de l'art, de la nostalgie impressionniste d'une Égypte d'enfance, le poète est jeté en 1915 dans la guerre.
“ Une nuit
entière - jeté à côté - d'un camarade - massacré - sa bouche - grinçante - tournée vers la pleine lune - ses mains congestionnées - entrées - dans mon
silence - j'ai écrit des lettres pleines d'amour.
- Je n'ai jamais été - plus - attaché à la vie.
”
Un langage déchiqueté lui donne accès au monde déchiqueté de la guerre.
Que les vers se lient davantage, mais, courts, se succèdent avec le suspens de
souffle que donne l'approche du souvenir et, sur le front français, le poète note : “ Le Bois Capuchon - a une pente - de velours vert - comme une douce bergère.
”
“ Sommeiller là - tout seul - dans un café lointain - sous la clarté grêle - comme celle - de cette lune.
”
Perdu dans ce langage volontairement réduit à ses plus simples moyens, Ungaretti, au milieu du paysage mutilé de la guerre, cherche à regagner sur le
silence assourdissant du monde ce minimum de mots qui le restituent à lui-même.
C'est l'admirable poème les Fleuves qui date de 1916.
“ V oici - mes fleuves.
- Celui-ci est le Serchio - c'est à lui qu'ont puisé - deux mille années peut-être - de mon peuple campagnard - et mon père et ma
mère.
- Celui-ci c'est le Nil - qui m'a vu - naître et grandir - et brûler d'ingénuité - dans l'étendue de ses plaines.
- C elle-là c'est la Seine - dans ses eaux
troubles - s'est refait mon mélange - et je me suis connu.
”
Le Port Enseveli, première partie de l'A llegria, avait été accueilli “ par des discussions inouïes ”.
Il en sera de même du Sentiment du temps, paru en 1933.
Des périodiques furent fondés dans le seul propos de combattre cette poésie révolutionnaire qui bouleversait la tradition.
C'est dans le Sentimento que la recherche de la grande forme des Hymnes rencontre une crise religieuse décisive dans la vie d'Ungaretti.
Pourtant, sorti de
la guerre, le poète tentait d'aborder par un large vers à l'avenir d'un espoir : “ J'écoute une colombe venue d'autres déluges.
”
Mais ce qu'il rencontre c'est l'univers en périssement du temps.
“ Eté - tu décharnes le silex jusqu'à l'orbite d'ombre.
”
L'amour le livre à une fureur sans remède.
Ainsi le poème intitulé Junon : “ Si parfaitement ronde qui me tourmente.
- Ta cuisse, écarte-la de l'autre cuisse...
”
Le temps ne s'arrête pas, malgré l'implorante prière du poète et l'Olympe n'est qu'une fleur de sommeil.
Il faut s'éveiller, sortir du désespoir.
Cet homme profondément blessé par son échec dépris même de cette “ mélancolique chair - où jadis pullulait la joie ” mesure sa limite : “ L'homme monde
monotone - pense accroître son domaine - et de ses mains trop humaines - il ne forme que ses bornes.
”
En 1939, alors qu'Ungaretti est professeur au Brésil, son fils meurt.
C 'est le poème “ Tu crias : j'étouffe ” d'une lecture presque insupportable et que le
poète ne recueillit pas d'abord dans son troisième recueil Il Dolore (la Douleur).
Il y inscrit par contre Jour par jour où les mots essaient de reprendre au
temps les moments de l'agonie, de rendre éternellement présente cette agonie désormais éternellement passée, de reprendre, à la mort, la mort elle-même.
A travers les soubresauts d'une douleur furieuse, à travers la distance d'une terre enragée, la paix lentement s'approche, et l'enfant mort donne à son père
le secret : “ Tu peux dans le vent pur - entendre cheminer le temps avec ma voix.
- Peu à peu j'ai en moi recueilli renfermé - l'élan muet de ton espoir - je
suis pour toi l'aurore et le jour immuable.
”
La poésie comme biographie aura conduit Ungaretti à ce thème essentiel “ du passé, de l'absence, de la mort en relation avec l'exister ” qui sera celui des
derniers poèmes.
Le Récit de Palinure reprendra l'itinéraire de toute une vie, depuis le moment où se forme “ la folle entreprise d'atteindre un point harmonieux, heureux de la
terre : un pays d'innocence ”, jusqu'à la mort de Palinure fidèle derrière son navire brisé, et “ sa métamorphose dans l'immortalité ironique d'une pierre ”.
Ungaretti conclut la préface à Palinure par ces mots : “ Comme dans mon vieil hymne à La Pietà, une pierre marque à la conclusion la vanité de tout, effort,
attraction, de tout ce qui dépend des misérables vicissitudes terrestres de l'histoire de l'homme.
”
Ungaretti, quand ses amis pensent à lui, leur apparaît d'abord sous les espèces d'une voix.
Elle est célèbre dans toute l'Italie et ailleurs.
Jean Paulhan
prétend qu'elle a, par son éclat, arrêté une rame de métro à Paris vers 1920.
Elle a fait se retourner sur place des foules entières le long du quai des
Esclavons, à Venise, un jour que le premier prix de la Biennale ne plaisait pas au poète.
Elle exprime exactement ce corps trapu, ramassé sur lui-même, ce
visage tour à tour crispé par on ne sait quels orages intérieurs, contracté sur quels horribles et inévitables souvenirs, tendu vers quel arc-en-ciel futur, ou
souriant au plaisir d'une rencontre, apaisé par quelle difficile victoire.
Jusque dans ses silences, une puissante mâchoire mâche et remâche à longueur de journée les vocables d'un univers de mots qui demandent à s'organiser
et à être prononcés.
Ce sont eux qui ont formé cette poésie épaisse et fluide à la fois, généreuse et secrète..
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