Gustave Flaubert
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Gustave Flaubert
Avant que fussent publiées les OEuvres de Jeunesse et la Correspondance de Flaubert, Emile Faguet put prétendre
qu'il y avait en lui un romantique et un réaliste acharnés à se combattre, et qui écrivirent, le premier La Tentation
de saint Antoine, Salammbô, Hérodias, le second Madame Bovary, L'Education sentimentale, Un Coeur simple.
Explication séduisante, à première vue, d'une dualité qui n'est qu'apparente : quand on y regarde de plus près, on
aperçoit vite qu'il y a tout autant de réalisme dans les oeuvres de Flaubert que l'on dit romantiques, que de
romantisme dans celles que l'on dit réalistes.
Dès sa jeunesse, Flaubert haïssait les mots en -isme, sous lesquels on
range les écoles et l'on étiquette les artistes.
Peut-être pressentait-il qu'un de ces mots-là amènerait l'auteur de
Madame Bovary à s'asseoir au banc des prévenus de la Sixième chambre correctionnelle pour y répondre du délit
d'outrage aux moeurs, et que les deux ensemble feraient porter sur son oeuvre d'absurdes jugements.
Aujourd'hui, avec le recul des années, nous prenons plus exactement sa mesure.
Exempts de parti pris, nous voyons
qu'il n'est point un Janus à deux visages, mais qu'il apparaît, au milieu du XIXe siècle, à un carrefour où se joignent
deux époques.
Il est l'aboutissement des courants qui ont entraîné la génération romantique, et qui ont porté sa
propre jeunesse ; mais il est le point de départ du mouvement qui va décider l'orientation de la génération suivante.
C'est lui qui va lui donner l'impulsion, parce que lui seul en a la force.
Ceux qui, autour de lui, se réclament des
mêmes doctrines, professent les mêmes idées, ne laisseront que des oeuvres mineures, tandis que la postérité vivra
longtemps de son héritage : de Madame Bovary, de L'Éducation sentimentale, sortiront en foule romans français et
étrangers, et l'on imitera tout autant Salammbô sans parvenir à l'égaler jamais.
Quant à La Tentation de saint
Antoine, elle demeurera dans la littérature française ce que Faust est dans la littérature allemande, une oeuvre d'un
caractère si spécial qu'elle ne cessera sans doute point de rester unique.
Albert Thibaudet a pu dire pour toutes ces
raisons que Flaubert "était fait pour donner le tableau et la synthèse de son siècle", et qu'il est, à la manière d'un La
Bruyère "par le pouvoir de son art, par le bienfait de son influence, indiscutablement et pleinement un classique".
Son oeuvre est donc à l'image de sa vie, d'une singulière unité.
Il a, depuis ses premiers pas, suivi une route
rectiligne, non point celle qui se dirige vers le succès, mais celle qui monte vers un idéal.
Il savait le sien
inaccessible, puisqu'il le nommait "perfection".
Il n'a pas moins cherché à s'en rapprocher chaque jour davantage.
Il
a dit, et c'était scrupuleusement vrai : "J'écris pour le seul plaisir d'écrire, pour moi seul, sans aucune arrière-pensée
d'argent ou de tapage." Et s'il a fait au collège des rêves de gloire comme en font tous les écoliers, jamais d'autre
souci ne s'y est mêlé que de créer quelque oeuvre qui s'imposerait par sa nouveauté et par sa force.
Jamais il n'a
pensé que sa vie pourrait suivre une autre pente que celle où il l'incline déjà lorsqu'à quatorze ans il fonde une
petite revue, et qu'il y insère une "physiologie" de forme balzacienne, Une leçon d'histoire naturelle : genre commismais qui déjà contient le germe de sa dernière oeuvre, celle-ci posthume, Bouvard et Pécuchet.
Cette unité surprenante, où tout se tient et se rejoint d'un bout à l'autre d'une carrière étonnamment remplie, a pu
donner le change - ou plutôt servir de prétexte à tenter d'égarer l'opinion : révélant la maladie nerveuse dont
souffrit Flaubert à partir de la vingtième année, son "ami" Maxime Du Camp prétendit qu'il avait été semblable à ces
enfants "noués" qui ne peuvent se développer, et qu'il ne fit, à l'âge mûr, que reprendre les sujets déjà traités au
temps de l'adolescence.
On peut retourner les choses : les trois versions de saint Antoine, les ébauches de
L'Éducation diffèrent assez entre elles pour qu'on n'aperçoive, en les comparant, que l'effort d'une volonté tendue
vers la perfection, au lieu d'une marque d'impuissance.
Pareil souci de se reprendre et de se corriger sans cesse, ces
"affres du style" qui le font gémir sur la page ébauchée, ce calvaire gravi pour chacun de ses livres, ont fait dire qu'il
eût mieux fait de s'abandonner à l'inspiration, de laisser aller sa plume au caprice de sa fantaisie.
On a trouvé dans
ses lettres un argument très fort pour appuyer ce dire : c'est qu'à la vérité sa Correspondance dont le style négligé,
indifférent aux répétitions de mots et souvent même aux fautes de syntaxe, restera peut-être comme son chefd'oeuvre.
L'artiste qui fit de la complète objectivité l'article unique de son credo littéraire, le romancier qui disait "le
premier venu est aussi intéressant que le nommé Gustave Flaubert", et répétait, sous une autre forme, un aphorisme
de même signification : "L'oeuvre appartient au public, mais point l'auteur qui doit rester absent de ce qu'il crée
comme Dieu est absent de la nature", "l'impassible" Flaubert se montre dans ses lettres un homme généreux,
sensible, un être de tendresse ingénue.
En sommes-nous surpris ? Non : le romancier à qui certains de ses
contemporains ont fait grief de sa "cruauté" envers Emma Bovary, aurait-il su créer des personnages si pleins de vie,
si près de nous, s'il n'avait été ce qu'il fut, si son coeur était demeuré fermé sous une carapace d'indifférence aux
misères d'autrui ? Aurait-il eu cette sensibilité qui lui permit de se faire femme lui-même pour tracer avec quelle
délicatesse du trait et quelle profondeur des ombres lumineuses les portraits de Marie Arnoux, de Rosanette, de
Félicité, de Salammbô, qui lui permit de répondre à qui le questionnait sur son modèle : "Madame Bovary, c'est moi !"
Rien n'était plus exact.
Rien de plus vrai non plus que ce constat : "Ma pauvre Bovary souffre et pleure en ce
moment dans vingt villages de France !" Les moeurs ont changé, point les misères du coeur humain, et c'est dans
vingt, dans cent villages d'un monde d'où les Homais n'ont point disparu, ni les Rodolphe, ni les Léon, que des
femmes continuent de souffrir et de pleurer parce qu'elles ont cru comme Emma aux mirages séducteurs et se sont
trompées sur elles-mêmes bien plus encore que sur leurs maris et leurs amants.
On lui a pareillement fait reproche de sa méthode, de la préparation minutieuse de ses livres, de sa recherche du
document exact sur lequel il appuie la moindre allégation.
Lui aurait-on imputé à crime toutes ses immenses lectures
s'il ne s'en était plaint dans ses lettres ? On oublie que ses gémissements et ses confidences n'étaient point
destinés à être entendus du public ni des critiques, ni des historiens de la littérature, mais adressés à des amis
intimes.
Trouve-t-on tant que cela dans les romans de Flaubert trace excessive de cette "documentation" si.
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