HUGO - Les Châtiments
Extrait du document
«
Les Châtiments naissent chez Victor Hugo du coup d'État du 2 décembre, par lequel le prince Louis Napoléon Bonaparte
élu président de la seconde République (née de la Révolution de 1848) devient empereur sous le nom de Napoléon III.
C'est une satire, un ouvrage engage et militant qui emploie tour à tour l'indignation et l'ordre pour flétrir celui que
Victor Hugo appelle « Napoléon le Petit ».
Ce poème fut composé à Jersey mais l'inspiration en vint à Bruxelles au poète réfugié, lors de meurtres politiques :
Né de circonstances précises, le texte atteint une puissance visionnaire dans les accusations lancées contre
l'Empereur, la transformation du paysage et les sentiments du poète-témoin.
Napoléon III fournit une cible constante à Victor Hugo.
Tantôt bandit monstrueux dont le poète flétrit avec indignation
les crimes, tantôt main ridicule qu'il oppose à son oncle, l'empereur est bafoué.
Quelques appellations péjoratives ainsi
que le rappel des forfaits composent ici un portrait vengeur.
Victor Hugo recourt à des termes explicites.
Ainsi le terme « bandits » (qui apparaît au vers 2 du poème cité dans son
intégralité) est développé par un distique (deux vers unis par des rimes plates et constituant une unité de sens) :
« Prince qu'aucun de ceux qui lui donnent leurs voix Ne voudrait rencontrer le soir au coin d'un bois.
»
On remarquera le contraste entre des termes évoquant la puissance (« Prince »), la légitimité (« donner ses voix ») et
la vile forfaiture (« rencontrer le soir au coin d'un bois »).
Enfin, l'injure culmine avec le mot « scélérat », véritable
souillure du monde :
« [...] je frémissais devant
Ce monde où je sentais ce scélérat vivant.
»
L'expression est encore accentuée par le rejet (« devant ») et sa place (elle occupe le second hémistiche de
l'alexandrin).
Le rappel des actions de l'empereur, se fait par une autre arme, plus indirecte mais également efficace : l'ironie.
« O sauveur, ô héros [...] »
Ce premier hémistiche pompeux par la répétition de termes élogieux placés en apostrophe bascule avec le second
hémistiche : « vainqueur de crépuscule ».
Napoléon III est un être de l'obscurité, de la mort et du deuil comme le
développe la suite du poème avec ce crépuscule fantastique digne d'un tableau visionnaire de Goya.
La référence à «
César » est évidemment ironique, et, placée en tête de l'alexandrin, retentit comme une menace.
De même qu'il
s'oppose à ces sauveurs, ces héros, à César, Napoléon III exerce une action contraire à celle de Dieu comme le montre
la fin de la première strophe.
Victor Hugo évoque dans un large mouvement l'action bienfaisante du Créateur :
« [...] Dieu fait sortir de terre les moissons, »
L'énumération insiste sur la fécondité (« les moissons, la vigne, l'eau courante »), l'abondance (« abreuvant »), la
plénitude (« les fruits vermeils »), la beauté liée à la vie (« la rose où l'abeille butine »).
Le poète évoque les éléments
symboliques de la nature : la force avec le chêne, la gloire avec le laurier.
L'Empereur, au terme de cette énumération,
apparaît comme un monstre contre nature dans un hémistiche vengeur, « et toi la guillotine », souligné par
l'interpellation directe du tutoiement.
Napoléon III, par la terreur politique qu'il fait régner au début de son règne, est assimilé à un bandit, à un être porteur
de mort, ce qui explique la transformation fantastique que subit le paysage pour le poète visionnaire.
A la ville, lieu d'exil où lui parviennent les nouvelles alarmantes de France (« c'était en juin, j'étais à Bruxelles ; on me
dit »), le poète oppose la campagne.
Ce lieu devrait le calmer, il est objectivement apaisant.
Hugo évoque aussi le
couchant dans ces « champs paisibles et dorés », « l'air, la plaine, les fleurs ».
Ce paysage est aussi paisible que cette
nature idyllique où Dieu exerce son activité bienfaisante dans la strophe précédente.
Mais l'agitation du poète transforme ce paysage et ce crépuscule par une symbolique des couleurs et par la toutepuissance des images de mort violente.
Aux fruits vermeils, à la rose, aux champs dorés par le soleil couchant et la
blondeur des blés mûrissants, Victor Hugo oppose une palette tragique de tons sombres et de rouge sanglant : « Tout
m'y parut plein d'ombre », « la coupole bleue », « de deuil enveloppée ».
Le soir qui tombe ravive l'horreur suscitée par la nouvelle de l'assassinat et les images de meurtre se multiplient.
Bruxelles elle-même semble contaminée : « Tout m'y parut plein d'ombre et de guerre civile ».
La subjectivité est totale
avec le verbe « paraître » et l'alliance audacieuse de termes abstraits et concrets (« ombre » et « guerre civile »).
La
population elle-même joue son rôle dans cette fantasmagorie funèbre :
« Les passants me semblaient des spectres effarés ; »
« Spectres » évoquent la mort, « effarés » souligne l'horreur des Bruxellois et des Français de même que leur
incapacité à réagir.
On se souvient en effet que Victor Hugo s'efforça sans succès de soulever le peuple parisien le 2
décembre.
L'osmose entre le poète et le paysage justifie les échanges de vocabulaire comme dans « le soir triste » où
le poète prête ses sentiments à la nature.
Enfin l'apparition de la lune permet l'explosion du fantastique et le rappel de
la genèse du texte.
L'assassinat des condamnés, la présence de la guillotine expliquent l'image de la lune vue comme
une « tête coupée », « sanglante » tandis que le soir (la mort) s'étend : « linceul frissonnant, de deuil enveloppée ».
Napoléon III est le fossoyeur de la République et de la gauche.
Le texte s'achève donc (comme le célèbre poème Zone
d'Apollinaire « Soleil cou coupé ») sur une image onirique, mais oh combien liée au prétexte du poème : l'assassinat
politique.
La dénonciation des crimes, leur résonance ne peuvent se faire qu'à travers un poète-héraut qui exerce une mission
auprès du peuple.
Telle est l'image que Victor H\igo laisse de lui dans ce texte..
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