Hugo, Les Misérables, Cinquième partie, Livre I, « La guerre entre quatre murs », Chapitre XV « Gavroche dehors »
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Victor Hugo, Les Misérables, V, livre 1, chapitre 15, « la mort de Gavroche ».
A force d'aller en avant, il parvint au point où le brouillard de la fusillade devenait transparent.
Si bien que les tirailleurs
de la ligne rangés et à l'affût derrière leur levée de pavés, et les tirailleurs de la banlieue massés à l'angle de la rue, se
montrèrent soudainement quelque chose qui remuait dans la fumée.
Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d'une borne, une balle frappa le
cadavre.
- Fichtre ! fit Gavroche.
Voilà qu'on me tue mes morts.
Une deuxième balle fit étinceler le pavé à côté de lui.
Une troisième renversa son panier.
Gavroche regarda, et vit
que cela venait de la banlieue.
Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l'œil fixé sur les gardes nationaux qui
tiraient, et il chanta :
On est laid à Nanterre,
C'est la faute à Voltaire,
Et bête à Palaiseau,
C'est la faute à Rousseau.
Puis il ramassa son panier, y remit, sans en perdre une seule, les cartouches qui en étaient tombées, et, avançant
vers la fusillade, alla dépouiller une autre giberne.
Là une quatrième balle le manqua encore.
Gavroche chanta :
Je ne suis pas notaire,
C'est la faute à Voltaire,
Je suis petit oiseau,
C'est la faute à Rousseau.
Une cinquième balle ne réussit qu'à tirer de lui un troisième couplet :
Joie est mon caractère,
C'est la faute à Voltaire,
Misère est mon trousseau,
C'est la faute à Rousseau.
Cela continua ainsi quelque temps.
Le spectacle était épouvantable et charmant.
Gavroche fusillé, taquinait la fusillade.
Il avait l'air de s'amuser
beaucoup.
C'était le moineau becquetant les chasseurs.
Il répondait à chaque décharge par un couplet.
On le visait
sans cesse, on le manquait toujours.
Les gardes nationaux et les soldats riaient en l'ajustant.
Il se couchait, puis se
redressait, s'effaçait dans un coin de porte, puis bondissait, disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à
la mitraille par des pieds de nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son panier.
Les
insurgés, haletants d'anxiété, le suivaient des yeux.
La barricade tremblait ; lui, il chantait.
Ce n'était pas un enfant,
ce n'était pas un homme ; c'était un étrange gamin fée.
On eût dit le nain invulnérable de la mêlée.
Les balles
couraient après lui, il était plus leste qu'elles.
Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort ;
chaque fois que la face camarde du spectre s'approchait, le gamin lui donnait une pichenette.
Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l'enfant feu follet.
On vit
Gavroche chanceler, puis il s'affaissa.
Toute la barricade poussa un cri.
***
Victor-Marie Hugo : écrivain, dramaturge, poète, homme politique, académicien et intellectuel engagé, né le 26
février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris.
Il est l’un des plus grands écrivains français et repose au
Panthéon depuis le lundi 1er juin 1885.
Son œuvre est très diverse : romans, poésie lyrique, drames en vers et en prose, discours politiques à la Chambre des
Pairs, correspondance abondante.
Les Misérables : roman paru en 1862 qui est l’un des plus populaires de la littérature française.
Victor Hugo y décrit la
vie de misérables dans le Paris du XIXe siècle et s'attache plus particulièrement aux pas du bagnard Jean Valjean.
Mais.
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