Hugo, Ruy Blas, acte II, scène 1
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Hugo, Ruy Blas, acte II, scène 1
Scène Première :
La Reine, La Duchesse d'Albuquerque, Don Guritan, Casilda, Duègnes
(…)
La Reine.
Vrai ! Casilda, c'est étrange,
590 - Ce marquis est pour moi comme le mauvais ange.
L'autre jour, il devait partir le lendemain,
Et, comme à l'ordinaire, il vint au baise-main.
Tous les grands s'avançaient vers le trône à la file ;
Je leur livrais ma main, j'étais triste et tranquille,
Regardant vaguement, dans le salon obscur,
Une bataille au fond peinte sur un grand mur,
Quand tout à coup, mon oeil se baissant vers la table,
Je vis venir à moi cet homme redoutable !
Sitôt que je le vis, je ne vis plus que lui.
600 - Il venait à pas lents, jouant avec l'étui
D'un poignard dont parfois j'entrevoyais la lame,
Grave, et m'éblouissant de son regard de flamme.
Soudain il se courba, souple et comme rampant... –
Je sentis sur ma main sa bouche de serpent !
Casilda.
Il rendait ses devoirs ; – rendons-nous pas les nôtres ?
La Reine.
Sa lèvre n'était pas comme celle des autres.
C'est la dernière fois que je l'ai vu. Depuis,
J'y pense très souvent. J'ai bien d'autres ennuis,
C'est égal, je me dis : – l'enfer est dans cette âme.
610 - Devant cet homme-là je ne suis qu'une femme. –
Dans mes rêves, la nuit, je rencontre en chemin
Cet effrayant démon qui me baise la main ;
Je vois luire son oeil d'où rayonne la haine ;
Et, comme un noir poison qui va de veine en veine,
Souvent, jusqu'à mon coeur qui semble se glacer,
Je sens en longs frissons courir son froid baiser !
Que dis-tu de cela ?
Casilda.
Purs fantômes, madame.
La Reine.
Au fait, j'ai des soucis bien plus réels dans l'âme.
À part.
Oh ! Ce qui me tourmente, il faut le leur cacher.
À Casilda.
620 - Dis-moi, ces mendiants qui n'osaient approcher...
Casilda., allant à la fenêtre.
Je sais, madame. Ils sont encor là, dans la place.
La Reine.
Tiens ! Jette-leur ma bourse.
Casilda prend la bourse et va la jeter par la fenêtre.
Casilda.
Oh ! Madame, par grâce,
Vous qui faites l'aumône avec tant de bonté,
Montrant à la reine don Guritan, qui, debout et silencieux au fond de la chambre, fixe sur la reine un oeil plein d'adoration muette.
Ne jetterez-vous rien au comte d'Onate ?
Rien qu'un mot ! – un vieux brave ! Amoureux sous l'armure !
D'autant plus tendre au coeur que l'écorce est plus dure !
La Reine.
Il est bien ennuyeux !
Casilda.
J'en conviens. – parlez-lui !
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