Ionesco écrit dans Notes et contre-notes : « Le comique n'est comique que s'il est un peu effrayant. » En vous appuyant sur votre expérience théâtrale et cinématographique, mais aussi sur les comiques dont vous connaissez les sketches, vous direz si cette affirmation correspond à l'idée que vous vous faites du comique ?
Extrait du document
«
Introduction
On constate à la fois, de nos jours, une prolifération de films et de spectacles comiques, correspondant à un
renouveau du genre dû notamment au café-théâtre, et une présence plus grande de l'angoisse aussi bien dans nos
vies que dans nos villes.
Ces deux phénomènes sont-ils contradictoires ? Un auteur contemporain, Ionesco, déclarait
pour sa part dans Notes et contre-notes : « Le comique n'est comique que s'il est un peu effrayant.
»
Nous essaierons de montrer qu'il n'y a là qu'un paradoxe apparent, que rire et frayeur sont deux mécanismes qui se
sont toujours répondu l'un l'autre : le rire peut-il s'affranchir totalement de la peur ?
Première partie : y a-t-il une limite repérable entre le rire et la peur?
• Les catégories de la critique classique distinguent traditionnellement la comédie — dont le but est de faire rire —,
de la tragédie — dont le but est de provoquer l'horreur ou la pitié.
• Cela dit, avant d'interroger la littérature, chacun n'a-t-il pas fait l'expérience dans la vie quotidienne de situations
qui se prêtent aussi bien au rire qu'à la frayeur (chutes, maladresses, grimaces...)?
• On distingue bien dans l'oeuvre de Molière les comédies de pur divertissement (Le Médecin malgré lui) des pièces
(dites « grandes comédies ») qui s'éloignent de la farce pour presque rejoindre la tragédie comme Dont Juan.
En
effet, dans cette pièce, la frontière entre le rire et l'angoisse se déplace continuellement, aussi bien dans l'action
que dans la psychologie des personnages : on rit de Sganarelle, mais on finit par le plaindre ; on plaint Don Juan,
mais son cynisme nous fait souvent rire.
On atteint même l'épouvante fantastique avec la statue du Commandeur
qui bouge et parle.
• Ce mélange des tons n'est pas rare : il suffit de songer à Shakespeare, au drame romantique, au théâtre moderne,
de Tchekov à Ionesco, sans oublier Brecht.
Toutes ces oeuvres refusent la distinction entre comédie et tragédie,
non seulement pour rendre la vie dans son ensemble, mais surtout pour mettre en lumière les liens qui existent entre
le rire et la frayeur.
• N'y a-t-il d'ailleurs pas de la cruauté dans tout rire, puisqu'on rit toujours aux dépens de quelqu'un, dont on se
désolidarise et qu'on abandonne à son destin ?
Deuxième partie : le sens et la fonction du comique, n'est-ce pas finalement d'éliminer la peur?
• Tout le monde a déjà constaté que le rire a une fonction libératrice, conviviale, qu'il permet de se sentir bien avec
les autres.
• Certaines oeuvres n'ont pas d'autre ambition que de célébrer une certaine joie de vivre.
Ainsi, Offenbach et sa Vie
parisienne n'ont d'autre but que d'étourdir tous les participants de la Fête impériale.
Un peu plus tard, les vaudevilles
traduiront bien l'atmosphère de la Belle Époque.
Aujourd'hui encore, le théâtre de boulevard maintient cette
tradition.
• Cependant, pour le regard critique d'un lecteur d'aujourd'hui, toutes ces oeuvres traduisent une insouciance un
peu effrayante face aux réalités sociales qui leur sont contemporaines et qu'elles ignorent.
• La peur est ici éliminée de façon très artificielle, par une sorte de politique de l'autruche ; elle est seulement
mise entre parenthèses le temps d'une représentation.
• D'autres oeuvres, en revanche, tentent d'éliminer l'angoisse en s'en nourrissant.
Ainsi, toute une veine
cinématographique en Italie dans les années 70 a-t-elle exploité l'ambiguïté d'un rire fondé sur les angoisses de la
vie moderne (Pain et chocolat, La Terrasse, Nous nous sommes tant aimés...).
Aux États-Unis, dans un autre
registre, Woody Allen fait rire aux dépens de la petite société new-yorkaise qu'il fréquente, en proie aux angoisses
généralement traitées par les psychanalystes (problèmes de couple, de vieillissement, peur de la mort...).
Troisième partie : le rire fait peur en bousculant l'ordre établi
• Le carnaval, qui est une des manifestations fondamentales du comique, a depuis l'origine une vocation subversive,
presque révolutionnaire.
La terreur n'en est pas absente comme en témoignent les nombreux morts de chaque
édition du Carnaval de Rio et le film de Marcel Camus, Or feu Negro.
• Les révolutions sont souvent aussi préparées par un travail de dérision comique.
Les chansons satiriques sur
Marie-Antoinette sont parfois d'une réelle violence propre à effrayer celle qui en est l'objet.
Mais surtout, des
oeuvres comme Le Mariage de Figaro de Beaumarchais contestent les fondements mêmes de l'Ancien Régime avec
toute la violence de la farce et de l'ironie : la pièce, d'abord interdite par Louis XVI, puis finalement autorisée,
restera encore après la Révolution un objet de scandale, à la cour de Vienne, par exemple, quand Mozart voudra la
mettre en musique.
• On a encore pu constater récemment cette crainte à l'égard du comique : Coluche ne fait vraiment l'unanimité que
depuis sa mort ; le personnage, excessif et imprévisible, n'épargnant personne, constituait un réel danger pour bien
des groupes d'opinion.
Conclusion
Ce qu'il importe bien de comprendre, c'est que le rire ne saurait constituer un remède contre la peur puisqu'il n'en
traite pas les causes — l'humour noir n'élimine pas la mort —, mais il permet de vivre avec, voire de l'apprivoiser.
En
revanche, le comique donne un sens à la peur en la transformant en objet de création artistique.
Grâce à lui, c'est
autant de peur qui disparaît de notre existence pour nous être restituée sous forme d'éclat de rire..
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